Sartre : On n’a jamais été aussi libres que sous l’Occupation

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Ma fille et moi évoquions hier la question de savoir si la tradition et son poids étaient une gène pour la création artistique, la création poétique en particulier. Et pensant à cela, je me rappelais cette curieuse phrase de Jean-Paul Sartre déclarant à peu près : “On n’a jamais été aussi libres que sous l’Occupation”.

C’est une phrase très paradoxale, évidemment. Mais je pense qu’une des significations possibles est la suivante : lorsqu’on est certain que le pouvoir établi est mauvais et que les lois sont mauvaises, les scrupules qu’on éprouve ordinairement à les violer disparaissent et notre liberté d’agir n’est plus encadrée de ce côté là.

Ordinairement, on considère, à juste titre, que, même si elles peuvent par instant nous gêner, les règles et les lois sont bonnes et établies pour le bien commun : il est sain de partager des règles pour permettre à la société des hommes de vivre collectivement. On accepte donc ces règles qui coïncident, peu ou prou, avec ce que nous dit notre conscience.

Mais quand il apparaît que le pouvoir est mauvais, que ce qu’il fait est mal et que les lois qu’il promulgue sont tyranniques et assassines, alors lui résister devient légitime, comme l’avaient justement compris les rédacteurs de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en inscrivant la résistance à l’oppression parmi les quatre droits naturels et imprescriptibles :

“Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression.”

Ce qui arrive alors, c’est que la coïncidence ordinairement vécue entre ce que dicte le droit et ce que dicte notre conscience disparaît. Les deux se mettent à diverger. Et ils divergent tellement que la retenue que nous ressentons normalement à suivre ce que nous avons au fond de nous quand cela peut nous conduire à violer la loi s’évanouit. Nous nous retrouvons seuls avec ce que nous dit notre conscience.

C’est la question étudiée par Platon dans Euthyphron : on est souvent tiraillé entre ce que dictent les bonnes mœurs et la tradition et ce que nous dicte notre maître intérieur. Tant que les bonnes mœurs sont présentables, il peut être difficile d’aller contre elles, même s’il le faut. C’est paradoxalement beaucoup plus facile lorsqu’il apparaît avec évidence qu’elles sont intrinsèquement mauvaises.

PS : Cette phrase se trouve dans un article intitulé “La République du silencepublié en septembre 1944 dans Les lettres françaises.

On trouvera ici un enregistrement de cet article par son auteur.

Aldor Écrit par :

Un commentaire

  1. 7 janvier 2017
    Reply

    Belle reflexion. Merci Aldor 🙂

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