Demander le nom des choses

J’étais la semaine dernière en randonnée dans le désert, lieu de sécheresse et de silence, et me suis à cette occasion rendu compte de la sorte de réflexe que nous avons acquis  – que j’ai acquis, du moins – qui nous conduit à systématiquement, presque irrépressiblement, demander le nom des choses, quand bien même nous n’en aurions, au bout du compte, pas grand chose à faire : quel est le nom de cette plante, de ce village qu’on aperçoit au loin, de ce sommet, de ce massif, de ce plat, de cet animal ?…, tant de noms que nous demandons à connaître sans bien savoir ce qui nous y pousse.

La connaissance mérite le plus grand respect. Savoir vaut mieux que ne pas savoir. Mais la demande mécanique de savoir que je voyais à l’oeuvre la semaine dernière ne me semble pas participer de l’accroissement de notre connaissance, de notre compréhension du monde, mais plutôt de son occultation : connaître le nom des choses pour pouvoir les catégoriser plus vite, et ne pas avoir à les examiner plus avant ; connaître mieux le nom des choses pour connaître moins bien les choses elles-mêmes… connaître le nom pour ne pas connaître la chose.

Tel est l’objet de cette improvisation matinale, dont je terminerai ultérieurement le commentaire.

Aldor Écrit par :

8 Comments

  1. 24 avril 2017
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    Je suis contente de vous retrouver. Vos improvisations m’ont manqué. Pour le nom, vous avez raison. D’un autre côté… Je veux qu’on me dise le nom de cette montagne, parce qu’il raconte l’histoire entre elle et les hommes dans les corps desquels elle pose le poids de sa présence. Je veux qu’on me dise le nom de cette plante, parce qu’alors jaillit tout autour de son corps visible son corps invisible – oserai-je dire, autour de son corps physique, son corps mystique. Je veux qu’on me le dise, que je puisse au moins emporter cela avec moi, et faire en moi la place due à cette plante. Savoir le nom m’aide à aimer, à inscrire l’amour dans la durée.

    • 24 avril 2017
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      Bonjour, Frog, je viens de lire votre magnifique poème…

      C’est un peu la même chose. Si je vous demandais le sujet de ce poème, vous me feriez une réponse qui aurait un sens mais qui me permettrait de me décharger du poids de la recherche, qui m’autoriserait à être moins attentif… on peut chercher à savoir par paresse…

      • 24 avril 2017
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        Oui, je comprends très bien ce que vous avez voulu dire, et je trouve moi aussi agaçant l’accumulation stérile de mots qui ne comptent pas vraiment. Je milite pour rendre aux mots leur poids ! 😉 Savoir le nom d’une chose ne suffit pas à la connaître. Mais pour connaître – vous savez, dans le sens d’aimer – il faut (pour moi du moins) avoir le nom.

      • 24 avril 2017
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        …Mais il n’en va pas toujours ainsi.

        Ainsi, il y avait, surgissant par endroits de mon désert pierreux, des touffes de camomille. Savoir que ces sortes de pâquerettes étaient des fleurs de camomille, avec tous les souvenirs de shampoings et de tisanes mêlés à ce mot, accroissait ma plénitude de l’impression ressentie. De l’amour, comme vous dites…

    • 24 avril 2017
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      Oui. Je suis d’accord. Comme dire l’amour peut parfois permettre de lui donner corps, comme un précipité, en chimie : ah ! C’était ça ; c’est ça. C’est donc ça.

  2. 25 avril 2017
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    j’attends la suite de cette réflexion…..pour mettre des mots dessus 🙂

  3. 25 avril 2017
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    Belle conclusion, Aldor, il semble que categorise empêche parfois de sentir les choses

  4. 26 avril 2017
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    Nommer donne un sentiment de contrôle, cela rassure. Ainsi, les médecins ont aujourd’hui un nom pour toutes nos maladies, même s’ils ne sont pas forcément capables d’en déterminer les causes ou de les soigner.

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