“Je croyais que ça te ferait plaisir”

 

On n’avait rien demandé ; on ne nous avait rien demandé non plus ; et voilà qu’on vient nous dire que cette chose, qui nous est pénible, nous ennuie ou a minima nous indiffère, « c’est pour nous faire plaisir » qu’elle a été conçue et exécutée. On nous le dit de vive voix, avec des mots, ou l’on se contente de nous le faire comprendre, en prenant le ton légèrement excédé et peiné de celui dont les efforts ont été mal récompensés et qui souffre, en silence, de notre ingratitude.

On tombe alors des nues car on ne savait rien de cela. Mais on n’ose pas trop le dire car comment se plaindre d’un excès de bonté, d’un trop-plein de gentillesse ?

Une bonne partie de mon enfance s’est déroulée à l’ombre de ces murs invisibles, de ces murs contre lesquels on ne pouvait pas se ruer, que dressaient certains de mes proches et qui m’angoissaient car c’était « pour me faire plaisir » qu’ils avaient été bâtis. Et j’entends, dans ma mémoire, cette voix qui résonne et qui projette en moi l’image de ces mains tordues de désespoir qu’on voit représentées dans certaines statues et dans certaines photos: « Oh, mon chéri, je croyais que ça te ferait plaisir… ». Et à cela, il ne pouvait être répondu, tant le désarroi était total.

Je conçois qu’on puisse pour mon avenir, mon bonheur, ma santé, mon bien, me faire des choses qui, dans un premier temps, ne sont pas agréables. Il faut parfois, pour guérir d’un mal, accepter l’amertume des pilules médicamenteuses.

Je veux bien croire aussi que, pour l’amour de moi, on puisse avoir des comportements qui, dans l’immédiat me choquent et me font violence. La santé, l‘amour, le bien, le bonheur, sont des constructions de long terme à la bonne réalisation desquelles des détours peuvent être nécessaires.

Mais le plaisir ? Comment prétendre avoir voulu faire plaisir quand notre conception du plaisir n’a pas été prise en compte ?

Il ne s’agit pas, ici, du cadeau, du don, du présent, de ce qui est délibérément et ouvertement offert, à nos risques et périls, pour faire plaisir à ceux qu’on aime. Dans ce cas, les nécessités de la surprise exigent le secret et interdisent le sondage préalable. Je parle ici d’autre chose. De ces plaisirs qu’on prétend, après coup, avoir voulu donner, mais qu’on n’a jamais présentés comme tels, directement, ouvertement. Il s’agit de ces choses plus insidieuses dans lesquelles on ne se mouille qu’à moitié, qu’on dit a posteriori avoir préparées pour nous mais qui ne nous ont jamais été présentées comme telle, avec netteté et franchise.

Et bien ces choses là, je pense à la réflexion qu’elles ne sont que le reflet de la volonté de puissance de celles et ceux qui prétendent, malgré nous, « avoir voulu nous faire plaisir ». Et pour parler plus précisément, et reprendre une pensée que Katia m’avait un jour dite, sans que je la comprenne, elles sont pour partie le reflet du désir mâle de contrôler notre plaisir, d’orienter nos choix : « aime ce que je veux que tu aimes et que je puis, moi seul(e), te donner. »

Aldor Écrit par :

13 Comments

  1. De nouveau, je suis entièrement d’accord avec toi et la conclusion de Katia est lumineuse. L’impasse de la gentillesse : désirer ce que désire l’autre, sans se demander si dans le fond on sait ce qu’il désire, s’il le sait lui-même, si on ne lui suppose pas ce qu’on désirerait qu’il désire et enfin sans se demander ce qu’on désire en désirant ce qu’il désire (le contrôler peut-être, comme tu l’indiques). Merci pour ces réflexions qui égayent mon mois d’août.

    • 16 août 2017
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      Égayer ? Je ne le pensais pas forcément mais tant mieux ! Quant à ta deuxième et avant-dernière phrase, Joséphine, je n’ose pas dire que je suis d’accord avec elle : je m’y suis perdu et m’y cherche encore. La première phrase me convin

    • 16 août 2017
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      Parti trop vite… restait mon salut à ta première phrase à laquelle je n’ai rien à retrancher. 😉

  2. Cela m’ a fait plaisir de lire cet article . L ‘avais-tu écrit dans ce but ? (smiley clin d’oeil )

  3. 16 août 2017
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    Je pense que beaucoup de gens pourront reconnaître leur mère dans cette description – et leurs proches plus généralement.

    • 16 août 2017
      Reply

      Sans doute, Marie-Anne. Mais tous s’y reconnaîtront-ils ? Je pense que non. Je ne crois pas que toutes les mères soient manipulatrices. Or là, il y a un peu de manipulation – et parfois beaucoup.

      • 20 août 2017
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        Je crois en tout cas que toutes les mères essayent d’imposer leurs vues à leurs enfants “leur faire entendre raison”, plus ou moins en douceur, pour qu’ils agissent conformément à leurs volontés (à elles), quitte à jouer sur leurs sentiments filiaux ou les culpabiliser un peu …

    • 17 août 2017
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      Je me suis fait la même réflexion… En tant que mère, suis-je désintéressée dans mon comportement avec mes enfants?

      • 20 août 2017
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        Désintéressée peut-être mais vous avez sans doute une influence sur eux, votre avis a un impact, ils redoutent ou cherchent votre appréciation …

  4. 18 août 2017
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    tellement vrai……tellement culpabilisant…..et tellement source de conflits entre parents et enfants, entre ami(e)s mais aussi entre conjoints que ce “je croyais que ça te ferait plaisir”…………

  5. 20 août 2017
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    Croire que “cela fera plaisir” cela relève de la supposition, ces fichues suppositions qui empoisonnent la vie des êtres..
    Quand on prétend connaitre une personne, on sait très bien ce qui lui fait plaisir ou pas, et l’on ne devrait pas être étonnée qu’elle ne réagisse pas conformément à ce que l’on croyait…
    Extrêmement intéressante cette réflexion, cher Aldor.
    Merci une fois de plus de nous ouvrir les yeux sur ces petites phrases assassines-anodines qui émaillent nos relations avec autrui.
    Bises célestes
    ¸¸.•*¨*• ☆

    • 20 août 2017
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      Bises célestes ! Ah ! Tu sais bien ce qui me fait plaisir, chère Célestine !

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