Le désir amoureux

Qu’est-ce que le désir ? Qu’est-ce que le désir dans l’amour ?

Dans le désir, ce n’est pas notre propre plaisir qu’on désire, ou si peu ; c’est le plaisir de l’autre. Mais pas n’importe quel plaisir. Nous désirons le plaisir que nous donnons à l’autre et ce plaisir seul, ce qui n’est pas très altruiste. Et plus encore, nous désirons que, du plaisir donné à l’autre, cet autre retire du désir de nous.

Dans le désir, c’est le désir de l’autre que nous désirons.

Dès qu’il y a amour, pourtant, les choses changent. Elles ne changent pas en soi : ce qui a été dit demeure vrai ; mais elles prennent place dans un nouveau paysage où ce que nous voulons et désirons n’a de valeur et de sens que répliqué dans l’autre, partagé avec l’autre, reflété dans l’autre dans un jeu de miroirs en abyme où, au bout de notre victoire, gît notre perte et au bout de notre perte, se dresse la victoire.

Dans le désir amoureux, les choses vibrent, incessamment s’inversent et sans fin se retournent. Et dans ce mouvement de houle, dans cet entremêlement infini du tien et du mien, l’égoïsme se noie, remplacé par quelque chose qui, sans être de l’altruisme, diffère tout de même de l’égoïsme parce que le soi n’est plus au cœur du monde.

Peut-être ne s’agit-il que d’un égoïsme élargi à deux personnes. Peut-être bien. Mais cet élargissement change beaucoup car il ouvre au dépassement de soi, est une porte ouverte sur le monde.

Simone Weil – j’en ai déjà parlé – met l’amitié bien au-dessus de l’amour au motif qu’il y a, dans l’amour, la recherche de son propre intérêt quand l’amitié n’est qu’altruiste. Elle a en partie raison. Mais l’égoïsme de l’amour est, d’une certaine façon, une ruse de la nature. C’est un égoïsme qui apprend à se chercher dans l’autre, à ne se trouver que dans l’autre. Il instrumentalise l’autre mais en acceptant – bien plus, en voulant, en désirant, en exigeant – être lui-même instrumentalisé. L’amour ne sépare pas le tien du mien, il ne sépare pas le corps de l’âme – et il est, en cela, infiniment plus généreux, complet, entier, que ne le sera jamais l’amitié.

La limite de cet amour, comparé à l’agaph ou à la charité chrétienne, est la part d’intéressement qu’il contient : on aime l’autre et on veut son bonheur, certes et absolument ; on pourra se sacrifier pour lui ; on pourra lui souhaiter de vivre et d’être heureux quand nous-même ne serons plus là. Mais quant à admettre que, nous vivant, il soit heureux avec un autre, c’est autre chose. L’amour amoureux n’est pas comme l’amour paternel ou maternel qui accepte et souhaite d’emblée qu’un jour vienne où les enfants voleront de leurs propres ailes et trouveront leur bonheur loin de nous ; l’amour amoureux est jaloux ; il veut le bonheur partagé.

Peut-on vraiment aimer l’autre – cet autre qu’on aime d’amour – au point de désirer qu’il soit heureux sans nous ? Je ne le crois pas. Je n’arrive pas à y croire.

Et cet amour amoureux ferme-t-il la porte, comme le répètent Jean et Augustin, à l’amour-agaph ? Remplit-il tant le cœur de sa substance que nulle place n’y resterait plus pour un amour plus universel ?

Cela non plus, aujourd’hui, je ne le comprends pas.

Aldor Écrit par :

11 Comments

  1. 24 août 2017
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    oui il est certain que ton écrit actuel est loin de refléter ton improvisation orale……alors attendons la suite de la rédaction 🙂

    • 24 août 2017
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      Eh oui Maly : je suis pris moi-même dans cette vibration et cette houle dont je parle. Atteindrai-je un rivage ? Peut-être.

    • 24 août 2017
      Reply

      Je suis arrivé quelque part. Pas forcément au bout du chemin mais dans un premier havre.

      • 25 août 2017
        Reply

        oui il me semble aussi que tu es arrivé dans un premier port tant l’océan d’Amour est vaste…..et un peu (beaucoup?) différent du propos de départ, à savoir le désir et le désir amoureux (non?)
        si on dit qu’on peut souhaiter que l’autre (qu’on aime) soit heureux ailleurs et sans nous, il nous est répondu qu’alors c’est parce qu’on n’aime pas vraiment…..mais qui sait (et est capable d’assurer) qu’il aime vraiment d’amour……….à chacun de faire sa propre expérience et de naviguer (à vue) dans ce vaste océan d’Amour(s)………

        • 26 août 2017
          Reply

          Ce que tu dis est plein de sagesse, Maly.

          Chacun pense aujourd’hui ce qu’il pense ; chacun croit aujourd”hui ce qu’il croit. Mais peut-être ses pensées et ses croyances seront-elles demain différentes. Ce qui n’est pas grave en soi, d’ailleurs.

          Sait-on au demeurant vraiment la nature exacte de l’amour qu’on porte aux êtres ? Evidemment non, comment le pourrait-on ?

          On ne peut, comme tu le dis, que naviguer à vue, en faisant au mieux et au plus juste à chaque instant, sans aucune assurance.

          Ert c’est très bien ainsi – même si c’est autre chose que nous désirerions.

  2. 25 août 2017
    Reply

    Je suis de ceux qui pensent que le désir ne se met pas en mots, ne s’explique pas. C’est étrange, le désir. C’est obscur et pourtant lumineux. Evident et incompréhensible. C’est un rivage sans cesse effleuré mais jamais atteint. On ne sait pas ce qui nous attire en l’autre, et ce qui nous repousse. C’est subtil, volatil. Fugace aussi parfois.
    L’amour, c’est autre chose de beaucoup moins physique, de plus intérieur, de plus abouti.
    La combinaison des deux est un cocktail détonnant, en ce qu’il contient intrinsèquement la jalousie, c’est à dire l’essence de aa propre destruction en même temps que son combustible.
    ¸¸.•*¨*• ☆

    • 26 août 2017
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      Oui, Célestine, tout cela est assez prodigieux, assez indescriptible, et loin de moi était l’idée de l’expliquer ; je ne voulais qu’essayer de le décrire, ce qui est évidemment impossible. Trop de finesse, là-dedans.

      Je crois qu’il y un désir amoureux qui diffère du désir non amoureux. Mais il lui ressemble par bien des aspects… Comme dans toutes les choses fondamentales, ce n’est que l’intention qui anime qui permet de distinguer la chose de son contraire. Et c’est ainsi, et il faut faire avec !

      Et la jalousie ! Quelle étrange chose, comme tu le dis. Et comment pourtant ne pas ressentir – même à distance, le rayonnement de sa déchirure ?

      Ce sont là des cquestions bien difficiles. Comme je le disais à Maly, j’ai jeté l’ancvre quelque part mais ne suis pas arrivé à bon port et peut-être n’y arriverai-je jamais.

  3. 25 août 2017
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    Et merci pour ta participation au débat chez moi. C’était très intéressant.
    bises
    ¸¸.•*¨*• ☆

    • 26 août 2017
      Reply

      Merci à toi de l’avoir lancé, Célestine. Tu as permis à tous d’élargir leur angle de vue, de considérer autre chose, d’essayer de concilier au lieu de rejeter – pour reprendre mon dada.

      Bises à toi aussi.

  4. 26 août 2017
    Reply

    Mon désir le plus cher à cette heure tardive est de rejoindre mon lit. Puisse Orphée désirer m’accueillir dans ses bras. Bonne nuit Aldor.

    • 29 août 2017
      Reply

      Merci, Charef ! C’est un désir très respectable ! Merci de ta visite ici.

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