Le Tsimtsoum

 

Pour que le monde puisse être créé, il a fallu que Dieu renonce à sa  toute puissance, renonce à être tout et se rétracte au dedans de lui-même pour laisser de la place à autre chose, j’en avais parlé à propos de la clémence.

Mais assistant à un mariage, dans une synagogue, il y a quelques semaines, voila que le rabbin a, pour expliquer le geste consistant à briser un verre à la fin de la cérémonie, expliqué qu’il s’agissait, dans les moments heureux, de se souvenir des malheurs du monde et de la destruction du temple mais aussi de se remémorer le geste initial de Dieu qui, pour créer le monde, eut ce geste de renoncement et de retenue, de rétractation, sans lequel le monde ne serait pas advenu.

Cette idée est ce que la kabbale appelle le Tsimtsoum. C’est le renoncement initial de Dieu à tout occuper, à tout être, pour que quelque chose d’autre, le monde, puisse naître.

On retrouve cette idée, sous des formes diverses, dans toutes les sagesses et toutes les religions. C’est le vide au cœur du moyeu, qui permet à la roue de tourner, dont parle le Tao ; c’est la nuit profonde de Saint-Jean de la Croix, c’est la méditation, le recueillement et l’attention vigilante, cette idée et cette pratique consistant à ne pas faire tout ce qu’on peut faire, ne pas dire tout ce qu’on peut dire mais laisser volontairement des choses en suspens, des choses dans l’inachèvement, laisser du vide et du silence pour que, au sein de ce vide et de ce silence, puisse advenir autre chose. C’est ne pas être glouton comme le sont les parents de Chihiro qui, mangeant le monde, n’en voient plus la magie et qui, à force d’emplir leur panse, leur vase dirait Katia, n’ont plus de place pour autre chose.

Le Tsimtsoum, c’est la vertu du renoncement, qui permet que nous ne dominions pas tout, qui permet qu’autre chose que nous se réalise, qui permet qu’autre chose en nous apparaisse. C’est le renoncement à  l’hubris grecque, le renoncement à la toute puissance qui commence par le respect de l’autre, reconnu pleinement comme autre.

 

Aldor Écrit par :

11 Comments

  1. 24 septembre 2017
    Reply

    J’aime beaucoup ce billet, d’abord parce qu’il m’apprend un mot que je ne connaissais pas, mais surtout parce qu’il visite des profondeurs métaphysiques intéressantes. Et on a cruellement besoin de métaphysique dans une société matérielle à l’excès.
    Et puis, l’idée que certaines notions se retrouvent dans diverses philosophies, me plaît bien: cela convoque l’idée d’universalité, sur laquelle un jour, peut-être, les hommes fonderont leurs rapports. En arrêtant de s’envoyer leurs différences dans la tronche, mais en s’appuyant sur leurs points communs pour construire un monde meilleur.
    Bisous cher Aldor
    ¸¸.•*¨*• ☆

  2. […] faut, et c’est également ce que raconte le Tsimtsoum, un décollement pour accéder à l’être, un arrachement , une transgression. Sans quoi rien […]

  3. […] nonchalance.  L’élégance est là : dans cette attitude de retrait volontaire, dans ce mini-Tsimtsoum par lequel nous renonçons à l’avidité et à la goinfrerie, pour passer dans la vie (et […]

  4. […] à nous. Telle est la sagesse de Dieu, disent la Kabbale et Simone Weil qui parlent de Tsimtsoum ou de […]

  5. […] le monde s’il n’avait pas été créé, si Dieu ne s’était pas replié en lui-même, dans le Tsimtsoum, pour permettre au Verbe et à l’idée de s’incarner dans le silence et le vide […]

  6. […] en revient à la geste divine initiale, au Tsimtsoum, à la décréation de Simone Weil : Dieu ayant atteint sa plénitude et empli tout l’espace de […]

  7. […] https://improvisations.fr/2017/09/17/le-tsimtsoum/Les hommes se taisent, accablés, et les femmes parlent, joyeuses, entre elles et avec les anges. C’est dans cette inversion des rôles traditionnels que le miracle advient. Dans le silence des hommes, si prompts à parler pour ne rien dire, une place se libère pour une autre parole. Comme, dans le repli sur soi de Dieu, une place pour la création, dans le Tsimtsoum. […]

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