Scandaliser


 

Le petit monde des historiens a été secoué, la semaine dernière, par une polémique née de la publication, par Libération, d’un article, signé par un directeur de recherches au CNRS, qui établissait un parallèle entre les réactions de l’entourage familial de M. M., au lendemain des assassinats commis en 2012 à Toulouse,  et celles de l’entourage familial de Robert Hertz, jeune normalien, juif, engagé volontaire, mort au front en 1915.

Il y avait du vrai dans l’analyse de l’article qui soulignait à quel point les entourages familiaux avaient montré de l’exaltation et décrit, dans les deux cas, le geste de l’époux, frère ou fils comme un sacrifice à dimension transcendante. Et dès lors l’assassin de Toulouse a existé et que le geste qu’il a commis en 2012 a été commis, je crois que chercher à l’analyser et à le comprendre (ce qui ne signifie évidemment pas le justifier ou l’excuser) en l’englobant dans une vision plus large est fondamentalement une chose utile.

Dont acte.

Mais comment ne pas voir, d’un autre côté, qu’en ce cas précis, même s’il y avait de la vérité dans l’analyse publiée, ça n’est pas le souci de la vérité qui guidait notre historien. De toute évidence, en effet, en dessinant un parallèle entre ces deux figures dont l’un est un héros national et l’autre un assassin sanglant, c’est le scandale qui était recherché. Ce qui guidait, en fait, la plume de notre directeur de recherches, était la volonté de briller, de faire mouche, de se faire mousser. Il y avait incontestablement de la vérité dans ses propos mais ça n’était pas la vérité qui guidait le propos.

Voilà un cas dans lequel le renoncement dont je parle depuis quelques semaines eut été adéquat : conserver l’analyse, qui était juste et pertinente, éventuellement l’utiliser plus tard dans un ouvrage à vocation universitaire, pour un public de sociologues ou d’historiens, mais se retenir de le publier dans un journal à grande diffusion car ce souhait de publication – cette sorte de démangeaison qui prend parfois d’attirer sur nous les projecteurs – était malsain.

Et voilà un cas aussi où où l’on comprend, par l’exemple, ce que peut signifier l’expression : “C’est l’intention qui compte“. Car en l’occurrence, même si vérité il y avait, et c’est le cas, ça n’était pas l’intention de vérité qui avait guidé la main de notre historien mais l’intention de scandale, au sens religieux et métaphysique.

Faire scandale pour attirer l’attention sur soi ; faire quelque chose non pas pour elle-même mais pour se faire valoir. Le scandale mis au service de notre ego et qui, instrumentalisé par celui-ci, se moque de tout le reste, et d’abord de la morale : faire le buzz.

L’avocat du diable, comme me dit parfois Katia.


PS : Ce qui fait scandale, du coup,  dans la polémique née ensuite sur les réseaux sociaux, est le mauvais angle d’attaque. Les historiens se sont fourvoyés en instrumentalisant leur discipline – ce dont ils ont malheureusement l’habitude – et en essayant de justifier d’un point de vue scientifique une condamnation qui ne pouvait être que morale. Le problème n’était pas que c’était du mauvais travail d’historien. Le problème est que ça n’était pas bien de l’avoir publié dans ces conditions.

Il faut parfois accepter de faire de la morale et de parler au nom de la morale.

Aldor Écrit par :

9 Comments

  1. Oh l’égo… qui se dissimule derrière tant de choses. Où n’est-il pas?
    Ici, effectivement, s’ajoute le goût du scandale!

    • 14 octobre 2017
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      Oh ! Clémentine, il est partout, et d’abord, bien sûr, dans ces enregistrements et ces pages, je le sais bien.

      Mais qu’il y soit n’est pas le problème en soi. le problème est de savoir si c’est lui qui nous guide ou non.

      J’étale mon ego à longueur de pages mais c’est comme incidemment. J’essaie de ne pas agir pour lui faire plaisir. Or, dans le cas de l’article de cet historien, je crois que la volonté de faire le buzz l’a emporté sur la réflexion.

      Je ne sais pas si j’arriverai à tuer mon ego. Arriver à le dompter serait déjà quelque chose…

      • 14 octobre 2017
        Reply

        Et pour répondre de sur l’autre partie, le scandale ne vient pas en plus de l’ego. Il est l’ego. C’est pourquoi il est si mal considéré : il est de l’ego.

        Je ne parle pas de la dénonciation des scandales existants mais de l’envie qu’on a parfois de « faire scandale » et de choquer.

  2. 14 octobre 2017
    Reply

    Je suis d’accord avec votre analyse mais un point me chiffonne : Vous dites que comprendre ce n’est pas justifier … mais pourtant, quand on comprend c’est qu’on admet la pertinence d’un point de vue.
    Par exemple peut-on comprendre ses ennemis – surtout quand on est en guerre contre eux ? J’ai peine à l’imaginer …

    • 14 octobre 2017
      Reply

      Vous touchez au coeur, Marie-Anne. C’est une pétition de principe à laquelle je veux croire, que je crois vraie, mais dont la vérité ne m’a pas encore complètement été révélée. Il le faut mais c’est encore une pétition de foi.

  3. 14 octobre 2017
    Reply

    Je pensais que tu allais nous parler de ce producteur américain…
    Ou de B. Cantat qui revient faire sa promo…
    De vrais scandales, s’il en est !
    Amicalement
    Céleste
    ¸¸.•*¨*• ☆

    • 15 octobre 2017
      Reply

      Bonjour, Célestine.

      Tu as bien fait de m’avertir. J’ai modifié le titre du papier en conséquence. Mon propos n’était en effet pas de dénoncer un scandale (je ne connais que les scandales déjà publics et mon cri n’apporterait pas grand chose à la clameur) mais de parler de cette envie qui nous vient parfois de faire scandale.

    • 15 octobre 2017
      Reply

      Oui. Il a pris conscience de la chose. C’est donc très bien.

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