Epiméthée


 

Le péché originel est ce besoin de transgression que nous portons au cœur de nous et qui nous pousse à nous arracher de l’état d’indistinction cher à Tchouang-Tseu et à fuir le Jardin d’Eden décrit dans la Genèse : quand la tentation se présente, nous la suivons, croquons la pomme et nous échappons de ce paradis, poussés par ce désir, qui gît en notre tréfonds, d’aller-delà, de nous dépasser, de sortir de l’hébétude heureuse de l’état de nature.

Il faut comprendre “péché originel” dans sa signification première : le péché originel n’est pas un péché qui vient après autre chose, qui serait, quoi qu’en dise la Genèse, la conséquence d’un acte ; le péché originel est là dès l’origine ; il nous est consubstantiel.

La mythologie grecque raconte cela d’une façon moins moralisatrice avec le mythe d’Epiméthée. Epiméthée est ce frère de Prométhée qui a été chargé par Zeus de répartir entre les créatures les qualités, les instincts, les moyens de se défendre, tout ce qui permet aux êtres de vivre et de prospérer. Mais Epiméthée est imprévoyant. Et ayant tout donné, tout réparti, il s’aperçoit qu’il a oublié une créature, l’homme, à qui rien n’a été donné en héritage, et qui se retrouve nue, sans pelage, ni défense, ni instinct, sans rien qui puisse lui permettre de survivre. Et il va donc falloir, pour survivre, que l’homme fabrique des habits, fabrique des chaussures, apprenne l’éducation et le langage et s’arrache, immédiatement, de l’état de nature dans lequel il est condamné.

Ce que raconte le mythe d’Epiméthée, c’est que l’arrachement à la nature est la nature propre de l’homme. Le besoin de transgression que nous portons en nous n’est pas un artifice – ou plutôt l’artifice est notre nature : nous sommes, intrinsèquement, cette créature dont les pieds foulent la terre et dont les yeux regardent les étoiles ; nous sommes cette créature du “et” qui ne peut se contenter de vivre, heureuse, parmi les autres créatures.

Cette réalité, qui est porteuse de tant d’heureuses conséquences, est porteuse aussi de conséquences mauvaises. Cet instinct de violence que nous avons en nous dérive probablement de cet élan vers la transgression sans lequel nous ne serions pas. Mais cette réalité est la réalité. Nous sommes ainsi faits et il faut faire avec, en l’acceptant.

Tel est l’objet de cet enregistrement.

 

 

Aldor Écrit par :

4 Comments

  1. […] pense que, nus à la naissance comme le raconte la fable d’Epiméthée, nous nous forgeons très vite une seconde peau, une sorte de fourrure avec laquelle nous […]

  2. […] cette histoire de la fuite hors du Jardin d’Eden, qu’on trouve aussi  dans les mythes d’Epiméthée et de Prométhée, dans la Genèse judéo-chrétienne et, en Orient, dans l’Oeuvre […]

  3. […] l’art lui sont les substituts indispensables de cette fourrure qui, comme le raconte joliment le mythe d’Epiméthée, lui fut refusée au début des […]

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