L’attention et l’insouciance


 

On peut, sur, une plage, admirer chaque grain de sable, car chaque grain de sable est une merveille à qui sait le regarder. On peut aussi, sur cette même plage, prendre un immense plaisir à marcher, courir, sauter et à sentir, sous ses pieds, des millions de grains de sable indistincts dont on ne sent que l’abondance et qu’on traite sans égards, sans y faire plus attention que ça, avec insouciance. Et le plaisir de la vie est alors dans cette attitude, luxueuse et légère, de désinvolture, dans cette sorte d’immediateté et d’innocence.

Je pensais à cela dans la nuit, me rappelant cette photo prise hier soir, au presque carrefour de la rue de Seine et de la rue Mazarine. La photo d’un lampadaire dont la lumière éclaire le vieux mur de l’Institut tandis que la rue de Seine file au loin, parsemée de rares lumières.

J’aime l’atmosphère qui se dégage de cette image où l’on retrouve un peu de l’ambiance cinématographique de la nuit parisienne, dans ce quartier aux vieilles pierres héritées d’une si longue histoire.

J’ai pris plaisir à prendre cette photo : deviner le charme de la scène, attendre qu’une voiture soit passée, cadrer, ne pas bouger, et rendre grâce, en définitive, à la beauté du lieu et du moment.

Mais une autre façon de rendre grâce à cette beaute et à ce charme aurait été de simplement passer mon chemin, de profiter avec innocence et insouciance de cette chose qui m’était donnée et de jouir simplement de ce cadeau du monde.

Cette deuxième attitude, faite de légèreté, d’insouciance et de désinvolture, est-elle celle qu’adoptent comme spontanément les enfants ? Peut-être. Et peut-être est-elle comme une réminiscence du rapport immédiat, simple, direct, aux choses et au monde que nous avions avant la Chute – que des êtres qui n’étaient pas tout à fait des hommes avaient avant cette naissance de l’homme qu’on appelle la Chute.

Mais je crois que l’attitude véridique et authentique vers laquelle nous devons tendre en tant qu’homme est, ici comme souvent, d’assumer pleinement notre statut et notre dignité d’homme en tenant simultanément les deux bouts : savoir à la fois jouir du simple plaisir d’être là et pouvoir, au même moment, sortir de ce rapport direct et spontané pour s’émerveiller de la beauté des choses.

Être à la fois l’innocent et le sage, attentionné et insouciant, un être dont les pieds foulent le sol et dont la tête touche aux étoiles.

Aldor Écrit par :

9 Comments

  1. Oui. Les deux. Merci Aldor pour cet article et la beauté de la photo.

    • 7 février 2018
      Reply

      Merci, Clémentine.

  2. 2 février 2018
    Reply

    Bonjour, c’est exactement le sujet de conversation que j’avais avec deux amis la nuit passée. L’innocent, dis-je, qui est-il ? Il me répondit : celui qui ne saurait vouloir nuire. Ce à quoi l’autre ami lui rétorqua : celui qui ne peut vouloir nuire n’est pas toujours celui qui ne nuit pas, par manque d’attention le plus souvent. Et sur ces mots j’ajoutai : il ne suffit pas de ne pas vouloir nuire, il faut aussi s’efforcer de ne pas nuire en le voulant, et cela est impossible sans attention. Alors, le chemin de l’attention et le chemin de l’innocence, sont-ils opposés par leur direction ? Y a t-il moyen qu’il se rejoignent ?

    Juan

    • 7 février 2018
      Reply

      Je crois que c’est justement ça, l’esprit alerte, l’éveil : un mélange de gravité et de légèreté. Une sorte d’esprit à large bande, comme on dit dans les télécommunications. Capable de saisir à la fois les vibrations profondes du monde et le piaillement de l’oiseau.

  3. 2 février 2018
    Reply

    Cette improvisation me fait penser à certaines scènes d’Amélie Poulain et au repas que mon compagnon prépare ce soir (petit clin d’oeil pour vous, ce soir, sur mon blog).
    Très belle photo.
    Merci.
    🙂

    • 7 février 2018
      Reply

      Ah ! La beauté des feuilles de chou !

  4. Très beau texte merci 🙂 Dimanche dernier, j’ai ressenti cela aussi : je décidai d’aller me promener sur la côte avec mon chien, d’habitude je prends mon nikon tant j’ai envie de prendre la beauté environnante. Mais là, je suis partie légère. Bien m’en a pris car à cause d’éboulements, la corniche était fermée aux voitures et j’ai pu en profiter sans nuisances sonores ! L’instant magique ♥ d’ailleurs, je vais en parler sur mon blog pour ne pas oublier les cadeaux de la vie alors que je suis dans une période de grandes ruminations 🙂 beau week end 🙂

    • 7 février 2018
      Reply

      Laisser son Nikon de côté. Oui, c’est ça. Y compris le Nikon qu’on a parfois dans sa tête.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.