La mauvaise foi


Je parlais l’autre jour de la mauvaise foi du loup de la fable. C’est une mauvaise foi tournée vers les autres : c’est vis-à-vis des autres que le loup est de mauvaise foi, et lui-même ne croit probablement pas (encore que ?) les mensonges qu’il raconte.

Mais il y a une mauvaise foi plus grave, plus maligne, qui est celle à visée interne, celle consistant à se mentir à soi-même, comme cela m’est arrivé, hier matin.

J’ai, deux jours de suite, au bureau, par inattention, commis une erreur sans aucune gravité mais qui a pu laisser penser à une collègue que je considérais mal son travail – ce qui n’était pas le cas. M’en étant rendu compte, je me suis préparé à aller lui présenter mes excuses. Et c’est en imaginant ce que j’allais lui dire que la mauvaise foi a fait son apparition : il m’est en effet, comme naturellement, venu à l’esprit de déformer un peu les choses pour donner une explication qui me paraissait plus simple et, surtout (pensais-je intérieurement), plus protectrice à son égard. Et c’est quand je me suis forcé à réexaminer ce que je m’apprêtais à faire, c’est-à-dire mentir prétendument pour protéger une personne (qui n’avait pas à être protégée puisque elle n’avait commis aucune faute !) que je me suis rendu compte de la perversion de mon raisonnement : je faisais comme si je m’apprêtais à mentir pour elle alors que la vérité crue était que mon mensonge ne protégeait que moi en transformant mon défaut d’attention en simple erreur de manipulation informatique. Et le soleil noir de la mauvaise foi est alors apparu dans tout son éclat : non seulement je m’apprêtais à mentir de façon éhontée mais j’habillais au surplus ce mensonge à visée égoïste des vêtements élégants de l’altruisme ! Je mentais, je me mentais à moi-même, et par dessus le marché je me donnais bonne conscience à bon compte ! Quelle triste découverte !

Il y a souvent, dans ce monde compliqué, épais, visqueux, des occasions de ce qu’on appelle parfois pieux mensonge. Certains d’entre eux sont sûrement des pieux mensonges à visée purement altruiste ; mais le plus souvent, peut-être, il s’y mêle diverses choses : on peut tirer un petit profit des mensonges qu’on fait à autrui comme on peut tirer un petit profit des dons et des bontés qu’on a envers autrui. Qu’il y ait de l’un et de l’autre n’est pas très grave, en soi, car le monde est ainsi fait. Ce qui compte est non pas forcément la pureté de l’intention mais sa clarté, au moins pour nous-mêmes. Le critérium ultime est de savoir qui profite le plus, en définitive, de mon mensonge, de mon action, de mon silence – de mon attitude. Si c’est moi qui suis le plus géné par l’absence de mensonge, alors même que je prétends agir au bénéfice de l’autre, je suis sans doute de mauvaise foi. Et alors, il me faut changer d’attitude.

Il ne faut pas prétendre faire pour les autres ce qu’on fait d’abord pour soi, ne serait-ce que pour se protéger. Là est la mauvaise foi.

Aldor Écrit par :

10 Comments

  1. 13 avril 2018
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    Et finalement qu’avez-vous fait avec votre collègue ?

    • 13 avril 2018
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      Oh, je lui ai dit la vérité. Car ma faute n’avait rien de terrible ou de dramatique. Et tout ce cinéma était fait pour un tout petit profit, une simple question d’amour propre. Peut-être est-ce la le plus extraordinaire !

  2. 13 avril 2018
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    “Le soleil noir de la mauvaise foi”… toutes les nuances de ce que tu écris si finement ici sont concentrées dans ces quelques mots. Magnifique image, qui éclaire un sujet “brûlant” de nos interactions à autrui …

    • 14 avril 2018
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      Merci à Gérard de Nerval…

  3. 13 avril 2018
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    Triste découverte, mais belle introspection et honnêteté envers soi xx

  4. 13 avril 2018
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    Ne s’agit-il pas aussi ce que l’on appelle manipulation ?

    • 13 avril 2018
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      Bonjour Andrea, je ne crois pas. Ce sont les autres qu’on manipule. Mais là j’étais seul concerné. C’est vis-à-vis de moi-même que j’étais de mauvaise foi…

      • 13 avril 2018
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        Ah oui, en effet… Tout se passe entre soi et soi dans ce que vous décrivez…

  5. 13 avril 2018
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    Tu es admirable, quand même.
    Tout le monde n’a pas cette grandeur d’âme de reconnaître sa mauvaise foi…
    ¸¸.•¨• ☆

    • 13 avril 2018
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      J’ai surtout eu de la chance de la débusquer. Car il doit souvent m’arriver d’agir de la même façon et de ne pas me rendre compte de qui se passe…

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