Petit con


Une de mes grand-mères – celle à laquelle, très injustement pour l’autre, je pense lorsque je dis : “ma grand-mère” – était une dame très gentille, d’une grande culture et qui, au-delà de son respect des rites et des cérémonies catholiques (je ne parle pas ici de sa foi qui m’est chose inconnue) avait une très grande ouverture d’esprit. Je me rends compte maintenant que s’il était si agréable d’aller chez elle, c’était parce qu’on s’y sentait très libre.

Cette grand-mère, qui était institutrice et qui était devenue directrice d’école, à Toulouse, était bonapartiste : elle vouait une grande admiration à Napoléon Bonaparte, possédait, sur lui, plein de livres, d’ailleurs souvent très beaux, et était arrivée à meubler sa maison de meubles Empire qui lui donnaient son cachet et son élégance.

Et je me souviens que, enfant ou adolescent, poussé peut-être un peu par mon père mais je n’en aurais pas eu besoin, je la titillais sur son amour de Bonaparte, comparant Napoléon à Hitler et lui disant tout le mal qu’il convenait d’en penser.

J’étais vraiment un petit con.

Le petit con, c’est celui qui, n’étant pas capable d’embrasser la totalité d’une question, de comprendre la richesse, la complexité d’une personne, la réduit au peu qu’il peut maîtriser. Le petit con ne comprend rien à quelque chose de grand et pour pouvoir saisir cette chose dont les dimensions dépassent celles que son esprit peut saisir, il la rapetisse, la banalise, la rend médiocre. Et, comble de prétention !, il regarde de haut cette chose qui le domine.

Du haut que mes quatorze ou dix-sept ans, j’en remontrais donc à ma grand-mère qui, pensais-je, dans sa naïveté, son aveuglement ou peut-être tout simplement son incapacité à bien penser, ne voyait pas bien les choses et se laissait aller à un romantisme que le jeune Zorro des esprits forts que j’étais avait devoir de dénoncer : il fallait que je lui ouvre les yeux…

Un petit imbécile.

Ça, c’était il y a longtemps et je m’en rends compte maintenant.

Mais on ne se refait pas entièrement : et je sais bien que, aujourd’hui encore, il m’arrive d’agir de la même façon, en dénigrant ce que je ne peux comprendre, en prenant de haut ce que devrais prendre de bas, en donnant des leçons là où je devrais en recevoir.

Aldor Écrit par :

18 Comments

  1. 16 avril 2018
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    De con. A comprendre. Le temps de grandir. Merci pour ce très beau texte.

    • 16 avril 2018
      Reply

      Tu as raison de souligner cette utilisation si désobligeante de ce mot. Un con est une chose douce et belle ; et il est dommage qu ce mot ait pris ce sens dans la langue courante…

      • 16 avril 2018
        Reply

        J’ai de l’indulgence pour un petit con, sa forfanterie, une épée et un écu de carton contre les grands, et le monde entier.

  2. 16 avril 2018
    Reply

    Oui. Il faut être indulgent. Voir, ne pas se leurrer eh être indulgent. Merci pour celui que je fus.

    • 16 avril 2018
      Reply

      Parfois aussi, être indulgent avec soi-même… les aspirations que tu partages, dans tes textes, nous y portent à ton égard 🙂

      • 16 avril 2018
        Reply

        Merci, Esther.

        Il faut être indulgent mais plus peut-être envers les autres qu’envers soi-même. On a tendance à se passer beaucoup de choses.

        … et je continue chez toi parce que c’est ton article d’hier qui me faisait penser cela.

        • 16 avril 2018
          Reply

          Mais oui, j’avais décodé ton intention ^^ Il me semble que chez moi, cette forme d’interpellation au “tu” qu’on peut certainement lire comme rigide et sévère, est l’envers d’une posture qui -jusqu’à une période récente- me menait justement à être d’une trop grande indulgence vis à vis d’autrui… jusqu’à en faire les frais. Il y a aussi une exigence intérieure que je tente de faire passer (car je ne pense pas être indulgente à l’excès avec moi-même, en tous les cas je mène régulièrement des révisions intérieures comme les tiennes pour me remettre en question ^^), parce que je l’attends des autres. Mais j’aime te lire, car tu as une posture semblable à celle que mon grand-père s’est attaché à nous transmettre : celle de l’honnête homme, éclairé et nuancé. Sans doute suis-je trop entière, et ai-je encore bien du chemin à faire pour y parvenir… Mais je te lis, et chemine à tes côtés 🙂

  3. 16 avril 2018
    Reply

    Tu me donnes de l’espoir j’ai le même à la maison (15 ans) ! En espérant qu’il ne donnera pas raison à Brassens lol !

  4. 17 avril 2018
    Reply

    N’avons nous pas tous été un petit con ! Parfois je balaie les souvenirs de certains épisodes de mon adolescence tant j’ai honte. 😅

    • 17 avril 2018
      Reply

      Oh, c’est bien possible…

      • 17 avril 2018
        Reply

        Ce que je veux dire, c’est que je sympathise. 🙂

        • 17 avril 2018
          Reply

          Merci, Frog.

          Moi aussi. Je l’aime bien, au bout du compte.

  5. 17 avril 2018
    Reply

    C’est émouvant.
    Certains ne reconnaissent jamais leurs erreurs de jeunesse…Celles que l’on fait sans le vouloir.
    Ils deviennent des vieux cons.
    Et c’est bien pire…
    Bisous cher Aldor
     •.¸¸.•`•.¸¸✿

    • 17 avril 2018
      Reply

      Merci, Célestine.

      Je ne suis pas sûr qu’en reconnaître certaines évite forcément de devenir un vieux continent mais prenons ça comme un début…

      Bises.

      • 17 avril 2018
        Reply

        Vieux continent, c’est joli mais un peu prétentieux. Ah ! La poésie des correcteurs orthographiques… si l’Oulipo avait connu ça…

  6. 18 avril 2018
    Reply

    Vraiment intéressant,cette définition du con, petit con, qui réduit à… ce que l’on croit comprendre de l’autre…
    J’aime !

    • 18 avril 2018
      Reply

      Merci, Michelle.

      En fait, je crois que c’est souvent ça. Pour la bêtise comme pour la violence, on projette sur l’autre ce qu’on a en soi.

      Et c’est pourquoi aussi l’amour rend belles les choses.

      Bonne journée !

      • 18 avril 2018
        Reply

        … belle journée à vous. 🙂

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