Biens à double usage


 

Etty Hillesum, dans son journal, relate un conte chinois raconté dans un de ses livres par Alfred Adler, conte dont la morale, synthétisée par Alfred Adler, est :

“Toute personne qui entreprend un travail d’importance doit s’oublier elle-même.”.

 

Etty Hillesum souligne cette phrase, qui l’a marquée, et on voit, à la lecture de la suite de son journal, qu’elle tentera de l’appliquer, y compris pour ce qui ne revêt pas de caractère “important.”

Il est très rare que nous agissions ainsi. Le plus souvent, dans nos actions, nous produisons ce que les accords internationaux et la doctrine de défense nationale appellent des biens à double usage (BDU), c’est-à-dire des choses qui peuvent être utilisées à la fois à des fins civiles : nourrir la terre, purifier l’eau, et à des fins militaires : produire des explosifs ou enrichir des éléments radioactifs. De la même manière, il est rare que ce que nous faisons dans notre vie quotidienne soit dédié à une seule fin. Nous faisons certes des choses pour elles-mêmes mais il est rare que nous ne les fassions que pour elles-mêmes et sans poursuivre d’autres fins. C’est notamment le cas avec les réseaux sociaux où, par construction, tout ce que nous faisons, disons, présentons vise également à nous mettre en visibilité quand ça n’est pas le premier objectif.

Dans l’affaire, on gagne évidement en portée, en moyens de toucher plus de personnes. Et cela, dans bien des cas, vaut probablement la chandelle parce que nous jugeons utile – peut-être à tort et peut-être de façon prétentieuse, au demeurant – de partager cette idée, cette impression, cette découverte que nous avons faite. Mais on perd évidemment en pureté, en qualité de transparence et d’univocité de ce qui est fait. Ce que nous faisons et disons va peut-être plus loin mais notre action et nos mots deviennent moins chastes de cet étalage public, comme la charité se salit de la publicité qui lui est faite.

De cela, souvent, je parle avec celle que j’aime : il y a des choses qui grandissent et s’épanouissent à la lumière mais d’autres qui s’y flétrissent et qu’il faut donc pieusement garder dans le secret de son cœur, éventuellement dans les pages de son journal, sans jamais chercher à les porter au dehors car cela les tuerait. Quelles sont ces choses ? Je ne le sais pas très bien. Ce ne sont pas forcément les plus précieuses mais elles ont en elles un fragilité, une pudeur qui invite à la chasteté.

Et puis il y a d’autres choses qui craignent moins d’être exposées, dont on peut donc sans trop de dommage parler, et qui parfois même paraissent sortir grandies de cette étalement impudique. Et je ne sais pas non plus en quoi elles se différencient.

Aldor Écrit par :

6 Comments

  1. Voila encore un article qui donne à penser…
    comme toi, je sens une grande richesse pour ce qui est parfois porté au public Car cela active la rencontre et il y un à enrichissement des idées qui est remarquables,
    Mais d’autres choses (je ne sais pas comment les définir), c’est vrai, ne résisteraient pas à l’étalage, ces choses peut-être ne peuvent être partagées que par la voix, Avec un amoureux Ou un ami…
    Bref, il faut que j’y réfléchisse encore 😉

  2. 12 mai 2018
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    C’est toujours agréable de vous lire, Aldor. Je crois que c’est moins une question de sujets que de sensibilité: certaines parlent sans gêne de leurs menstrues, d’autres peinent à raconter un souper entre amis.
    Pour les reste, je crois que cela dépend beaucoup de l’intention: quelle est la vraie raison de cette exposition publique? (et je me rends compte en l’écrivant que la mienne change. Je suis en processus hihi). Belle journée!!

  3. Quand on tient un blog on se pose en effet la question de la part d’intimité qu’on doit laisser transparaître … Parfois je publie certains de mes poèmes qui me paraissent très intimes mais je me dis que l’expression poétique réclame ce dévoilement par la force des choses, qu’il faut forcément mettre de soi pour écrire de belles choses …

    • 12 mai 2018
      Reply

      Oui, Marie-Anne, certainement. Mais pourquoi veut-on le publier ? Pourquoi ne se contente-t-on pas pour soi de cette beauté ?

      Le regard de l’autre est nécessaire, je le sais bien, sans quoi quelque chose manquerait.

      Mais ça ne coule pas de source…

      • Parce que, peut-être, la beauté est une chose à communiquer … pourquoi ? peut-être pour se faire plaisir à soi-même et aussi faire plaisir aux autres ?

        • 15 mai 2018
          Reply

          Oui, certainement.

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