Agir sur soi-même


 

Etty Hillesum et Simone Weil, qui sont à certains égards si différentes, sont pourtant très proches l’une de l’autre. Et elles partagent en particulier une même conception de la nécessité de l’action – de la vraie action : celle qu’on mène sur soi-même.

J’ai à de nombreuses reprises évoqué ce passage, qui figure au début de l‘Enracinement, dans lequel Simone Weil, renversant la conception qu’on a habituellement des choses, fait observer que puisque nous n’avons aucun moyen de faire respecter nos droits  puisque nos droits sont aux mains des autres, nous ne pouvons que faire notre part et donc respecter nos devoirs – faire nos devoirs. Il ne s’agit donc pas, pour un homme ou une femme d’action, de réclamer qu’on respecte ses droits mais de faire ce qu’il peut faire, ce qu’il est dans son pouvoir de faire, c’est-à-dire ses devoirs, qui sont les droits des autres.

De la même façon, Etty Hillesum revient très souvent dans son journal et ses lettres sur l’idée qu’il ne sert à rien de s’en prendre aux autres, de les haïr ou de les combattre, car cela ajoute du mal au mal. La seule chose qu’on puisse faire, c’est entrer en soi-même et changer soi-même. C’est ce qu’elle explique, le 23 septembre 1942, quand elle relate une discussion qu’elle a eue, à Westerbok, avec un militant trotskyste, Klaas, emprisonné comme elle :

“Et j’ai répété encore une fois, avec ma passion de toujours, même si je commençais à me trouver ennuyeuse, à force d’aboutir toujours aux mêmes conclusions : “C’est la seule solution, vraiment la seule, Klaas, je ne vois pas d’autre issue : que chacun de nous fasse un retour sur lui-même et extirpe et anéantisse en lui tout ce qu’il croit devoir anéantir chez les autres. Et soyons bien convaincus que le moindre atome de haine que nous ajoutons à ce monde nous le rend plus inhospitalier qu’il n’est déjà.”.

 

Il faut agir sur nous-mêmes parce que le monde est ce que nous en faisons ; parce que, plus radicalement, c’est en nous que nous portons le monde et qu’il ne sera donc jamais que ce nous portons en nous.

Il ne s’agit pas simplement du raisonnement un peu petit bourgeois au gré duquel on ne pourrait pas demander aux autres de faire quelque chose si on ne le fait pas d’abord soi-même ; il s’agit du fait que c’est ce que nous faisons qui irradie dans le monde et le construit, et que tout combat est vain et voué à l’échec qui ne commence par nous-même.

C’est ce débat un peu stérile auquel on assiste ces derniers jours à propos de l’écologie, entre ceux qui orientent leurs combat et leurs revendications vers les autres : le capitalisme, les entreprises, les lobbies, les politiques, et ceux qui disent qu’il faut d’abord se changer soi-même. Il faut évidemment les deux, qui s’aident et s’encouragent mutuellement. Mais croire qu’il suffirait de changer ces grandes entités extérieures, ces grands Autres auxquels il est si facile, si confortable de s’en prendre, pour changer le monde ; qu’on pourrait changer le monde sans d’abord nous même  modifier radicalement nos façons de faire et de penser, c’est évidemment errer. Car les grandes entreprises, les Etats et le capitalisme ne font évidemment que répondre à nos propres aspirations, aux désirs que nous portons en nous et qu’il nous faut apprendre à mieux canaliser sans quoi tout sera vain.

Nous portons en nous le monde ; il est ce que nous en faisons.


En introduction et en conclusion musicales, Obsolete, de Regina Spektor, tiré de son dernier album : “Remember us to life”.

 

PS : je me rends compte que j’avais déjà parlé de cela. Tant pis !

Aldor Écrit par :

8 Comments

  1. 11 septembre 2018
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    Croire que le problème est l’Autre, en l’Autre, vient de l’Autre… c’est la pierre d’achoppement de l’Humanité toute entière.

    • 13 septembre 2018
      Reply

      Probablement. Et parfois, Esther, on comprend que non, et puis on replonge dans cette fausse piste, qui n’est probablement pas complètement fausse, avant d’en ressortir…

      • 13 septembre 2018
        Reply

        Pour le coup, je suis vaccinée, je crois^^. Mais les rappels sont utiles…

  2. 11 septembre 2018
    Reply

    “Nous portons en nous le monde ; il est ce que nous en faisons.”………oui, bernard et ça résume tout

    • 13 septembre 2018
      Reply

      Parfois je m’arrête à la deuxième partie (Il est ce que nous en faisons) ; parfois, la vérité de la première ( nous portons en nous le monde) m’apparaît dans une fulgurance..

  3. 11 septembre 2018
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    Je me bats avec cela, justement. Mais cette responsabilisation de soi est d’autant plus difficile quand je suis en colère et que je dois trouver ce qui me calmerait et me ferait du bien, sans que j’impose d’exigences aux autres… Ah, être véritablement adulte n’est pas facile! :/

    • 13 septembre 2018
      Reply

      Oh oui c’est parfois difficile ! Je suis bien d’accord, Annick.

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