Les biens les plus précieux ne doivent pas être cherchés, mais attendus


 

Voici plusieurs années que K. me parle de transparence sans que je comprenne ce qu’elle entend par là. Et puis, relisant le texte de Simone Weil sur les études scolaires, dont j’ai déjà parlé, je découvre dans ce qu’elle dit de l’attention une acception possible de la transparence :

“L’attention consiste à suspendre sa pensée, à la laisser disponible, vide et pénétrable à l’objet, à maintenir en soi-même à proximité de la pensée, mais à un niveau inférieur, et sans contact avec elle – les diverses connaissances acquises qu’on est forcé d’utiliser. La pensée doit être, à toutes les pensées particulières et déjà formées, comme un homme sur une montagne qui, regardant devant lui, aperçoit en même temps sous lui, mais sans les regarder, beaucoup de forêts et de plaines. Et surtout la pensée doit être vide, en attente, ne rien chercher, mais être prête à recevoir dans sa vérité nue l’objet qui va y pénétrer.”

La transparence, je l’avais jusque ici essentiellement conçue comme un mouvement allant de moi vers l’extérieur : “je dis tout, je ne cache rien et tu sais tout de moi” – tels sont les mots que je répète à K. Mais c’est d’autre chose, ici, qu’il s’agit, d’une autre transparence. D’une transparence qui permet au monde de pénétrer jusqu’à nous, sans obstacle et sans filtre : être transparent pour saisir le monde et les choses telles qu’elles sont, indépendamment de nos attentes, de nos désirs et de nos craintes. Voir, entendre, toucher, sentir, goûter ce qui est, dans la pureté originelle des choses, sans chercher à les revêtir d’habits déjà coupés, qui cacheraient leurs formes.

Cet effort – ou à plus justement parler cette disposition d’esprit : l’attention – Simone Weil la nomme attente, par opposition à la recherche ou à la quête. Parce que l’attente, la vraie attente, l’attente fondamentale, n’est pas orientée ; elle ne pré-conçoit pas son objet ; elle n’en préjuge pas ; elle est ouverte à tout. Au contraire de la recherche, qui est forcément recherche de quelque chose, qui a forcément un objet, qui passe forcément par le respect de protocoles qui ont été élaborés en tenant compte de cet objet. Chercher, c’est se focaliser sur quelque chose et donc fermer les portes de sa sensibilité et de son esprit ; attendre, c’est les laisser grandes ouvertes et être prêt à tout accueillir.

C’est ainsi, dit Simone Weil, en se rendant transparent et en se laissant inonder et pénétrer sans résistance, sans chercher ceci ou cela, sans projeter sur les choses nos espoirs ou nos peurs, qu’on peut accueillir le monde et non ces ersatz que nous prenons pour le monde mais qui ne sont que les projections de notre esprit :

“Les biens les plus précieux ne doivent pas être cherchés, mais attendus. Car l’homme ne peut pas les trouver par ses propres forces, et s’il se met à leur recherche, il trouvera à la place des faux biens dont il ne saura pas discerner la fausseté.”


En introduction et conclusion musicales, Après-midi de dimanche (extrait des Heures dolentes), de Gabriel Dupont, joué au piano par Anne Queffélec (“Eric Satie et compagnie”). On comprend bien  à l’écoute de la musique, ce que veut dire Simone Weil. A la première écoute d’un morceau, notre esprit est vierge et n’attend rien. Il est transparent. Puis avec le temps, cette virginité se perd. L’attente sans objet des débuts devient attente de quelque chose – ce qui ne brise pas le plaisir de la musique ; pas du tout – mais qui le change.

Aldor Écrit par :

4 Comments

  1. 20 octobre 2018
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    Cette attente m’est naturelle. Mais vue de l’extérieur elle ressemble beaucoup à une passivité. Il m’arrive de vouloir savoir être dans la recherche telle que tu la décris ici.

    • 20 octobre 2018
      Reply

      Oh ! Mais Frog, je suis loin d’y être. Je ne fais que commencer à comprendre (peut-être) ce qu’elle est…

  2. 20 octobre 2018
    Reply

    🙂 Même chose que Frog ^^ Ce que dit ici Simone sonne tellement juste à mes oreilles ! Et ce n’est pas un effort, mais bien une disposition d’esprit dont on parle, qui est pour moi proche d’un exercice de méditation. Quand je veux vraiment être dans cette attention pleine et entière, j’ai remarqué qu’instinctivement, mon rythme cardiaque et ma respiration ralentissent et que mon état de conscience se modifie. Et il se passe effectivement ce que dit Simone : on devient “poreux”, le flux des pensées conscientes s’arrête ou se met en tâche de fond, loin, loin … puis le monde entre, tellement plus finement et avec tellement plus d’acuité que lorsqu’on cherche consciemment. C’est aussi ça que je tentais de t’expliquer quand je te disais “on voit, et on sait” 🙂

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