Catharsis


Il y a des propos que nous refuserions d’entendre ou dont nous exigerions l’interdiction s’ils étaient prononcés devant nous, tellement ils sont haineux, racistes, antisémites, violents, insupportables.

Et pourtant ces mêmes propos, mis dans la bouche d’un personnage de roman ou de théâtre, ont un tout autre effet et acquièrent des propriétés radicalement différentes.

Ainsi, des propos et des pensées que Virginie Despentes prête à ses personnages, à ce Xavier, par exemple, dans Vernon Subutex, qu’on voit plongé, au début du tome premier, dans une sorte de crise de folie fantasmatique durant laquelle il exprime toute sa frustration et sa répugnance à l’encontre des vendeurs et des clients d’un Monoprix dont il rêve de faire un grand massacre, s’arrêtant sur chacun d’entre eux pour dire la haine meurtrière précise qu’il suscite.

Tout cela n’est que soliloque, pensée irréfrénée qui ne débouchera jamais sur aucun acte. Mais quelle extraordinaire violence dans ce propos délirant qui bouillonne et répand partout sa folie, brisant tout, passant outre tout, ne se laissant endiguer par rien ! C’est un déchaînement irrépressible.

Et pourtant, à lire ce texte ou à le hurler (merci à Marc, et à l’aimée qui me guida sur ce chemin), on sort non pas haineux mais comme nettoyé de ce bouillonnement qui fait écho à ce que nous portons en nous-même mais que l’auteur a su, dans l’expression de son personnage, chirurgicalement mettre à jour, désigner, condenser – ce qui nous permet de l’expulser : nous sommes purifiés.

C’est ce qu’Aristote appelait la purge, la catharsis provoquée par l’art, le théâtre ou la musique : à voir représentée une émotion à laquelle nous sommes nous-mêmes sujet, nous arrivons à l’expulser comme un corps étranger, du moins dans ses excès : “il se produit une certaine purgation et un allègement accompagné de plaisir.”.

Entre un vrai discours de haine qui suscite et propage la haine et ce discours là qui en est la représentation artistique, la différence est imperceptible. Seule l’intention varie qu’on perçoit par je-ne-sais quelle antenne ou sens qui n’a pas de nom. Mais tout en est changé.

Aldor Écrit par :

2 Comments

  1. 23 mars 2019
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    magie de l’acte créateur, ce qui est au fond de moi est au fond de tous les êtres, rares sont les artistes capables de mettre cela à jour dans leurs productions. Ceci est une pensée de Emerson que j’ai lue tout à l’heure et qui consonne avec votre propos sur la catharsis.

    • 30 mars 2019
      Reply

      Merci Jean, d’avoir partagé cette pensée d’Emerson.

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