Idées en uniforme


Les Gilets jaunes qui cassent (ou qui laissent casser) et les policiers qui tirent ou tapent dans le tas (ou qui laissent tirer ou taper dans le tas) ne sont que la traduction physique de la violence idéologique qui s’est emparée du pays,  le déchire et l’abaisse. Les arguments échangés sont de jour en jour de plus en plus caricaturaux et simplistes, chaque camp se repliant progressivement sur la ligne la plus dure, la plus agressive, la plus stupide.

En 1936, Emmanuel Berl, directeur de l’hebdomadaire Marianne, avait, au moment de la guerre d’Espagne, publié dans ce journal une “Pétition en faveur des citoyens qu’on empêche de penser” dans laquelle il dénonçait le fait que, sous la pression des deux extrémismes  que constituaient le communisme stalinien d’un côté, le fascisme et le nazisme de l’autre, les défenseurs de la démocratie libérale étaient réduits à la portion congrue et sommés, pour des raisons d’efficacité, de se rallier  à l’une ou l’autre des deux thèmes extrêmes. On obligeait ainsi, regrettait-il, les idées à se mettre en uniforme, c’est-à-dire à se trahir pour se ranger  dans un camp ou dans l’autre.

C’est à quelque chose de ce genre qu’on paraît assister : dans la tension ambiante, ce sont les slogans qui font mouche et on assiste, sur les réseaux sociaux notamment, mais pas seulement, à des replis sur des thèses, des thématiques, des manières de s’exprimer de plus en plus obtuses, de plus en plus sourdes, de plus en plus agressives. Et même des gens (j’en connais) qu’on pourrait croire d’un naturel posé se laissent gagner par cette folie qui n’est pas douce et acceptent, pour des raisons tenant à ce qu’ils pensent être la nécessité d’une discipline politique, de défendre des attitudes ou des comportements indéfendables.

Cette réduction du débat politique à des échanges d’invectives et de slogans caricaturaux, cette façon de couvrir, chacun dans son camp, des comportements inadmissibles au nom de la solidarité, est dangereuse car, autoréalisatrice, elle pourrit littéralement le débat.

Il faut que chacun refuse cette mise des idées en uniforme. Elle n’apporte rien de bon.

Aldor Écrit par :

9 Comments

  1. 26 mars 2019
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    Ce que vous dites est très juste. C’est aussi très inquiétant pour la suite…

    • 30 mars 2019
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      Oui, Domi. Inquiétant. Mais du tout dans la mesure où notre époque ressemblerait à l’entre-deux-guerres. Mais parce qu’il y a une sorte d’escalade dans a surdité, le simplisme et la caricature…

  2. C’est tout à fait l’idée globale que j’ai aussi. Mais comment sortir de cette situation ? Parce qu’il faut agir sur chaque individualité qui constitue le groupe pour changer de paradigme. Insoluble.

    • 31 mars 2019
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      Je ne sais pas, Dominique. La seule chose que nous puissions faire est de nous retenir de jeter de l’huile sur le feu, ce qui est souvent notre premier réflexe, et de ne pas réagir au quart de tour…

  3. 28 mars 2019
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    Elle est très intéressante cette image qui habille l’idée en uniforme. L’uniforme ou le groupe ne sont que la façade cachée d’une idéologie qui s’imposer par sa force de persuasion. La violence est finalement la conséquence d’une idée qui s’affuble d’un uniforme physique ou virtuel. Merci pour cet excellent éclairage.

    • 31 mars 2019
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      Je ne suis pas sûr de bien comprendre ce que tu veux dire, Charef. Ce n’est pas l’uniforme en soi, qui me gène. C’est que se croient obligés de s’y rallier des gens qui au départ avaient une voix et une pensée originale. Si bien qu’on retrouve deux camps là où au départ il y avait une pluralité d’opinions.

      Et encore, il y a des situations (l’Algérie d’aujourd’hui, par exemple, telle que le la vois) ou il y a effectivement deux camp parce qu’un choix binaire est posé…

      • 31 mars 2019
        Reply

        Ce que je veux dire c’est qu’avant on s’engageait avec une carte d’adhérent ou un engagement. Tout était clair. On pouvait nous identifier par rapport aux idées du groupe et ses leaders. Avec les réseaux sociaux on a perdu ces valeurs. Bon Dimanche Aldor.

  4. […] de l’action : les idées se rigidifient, perdent leur épaisseur, se rangent en peloton, se mettent en uniforme pour reprendre la belle et triste image d’Emmanuel Berl dans Marianne : c’est la langue de bois […]

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