Créatures à large spectre


Il y a l’incendie de Notre-Dame, cette guerre au Yémen, avec toutes ces personnes qui meurent sous des armes françaises ; il y a ces migrants qui souffrent et se noient en Méditerranée, ces villageois assassinés par Boko Haram, et toutes ces personnes qui, partout, meurent et souffrent de faim, de maladie et d’autre chose : il y a tout le malheur du monde et la tristesse que cela met en nous.

Et puis, au même moment, il y a le bonheur ressenti ce matin en entendant chanter un merle dans la cour de mon immeuble, le sourire épandu à la beauté d’un corps , la joie du soleil caressant le visage ou le plaisir qui m’a submergé, l’autre soir, en respirant, au coin du boulevard Saint-Germain et de la rue des Saint-Pères, une odeur d’Obao – ce produit pour bain moussant – orient de pacotille, douceur, féminité, bleu des mers du Sud – dont ma jeunesse fut emplie du désir.

Obao : il y avait l’odeur – certainement pleine de produits chimiques -, la mousse dans laquelle je précipitais mon visage, la superbe couleur qui, avant de devenir celle des détartrants pour WC, était le Bleu des mers du Sud utilisé comme encre par mon père, la petite musique racontant un thème japonais et puis, je m’en rends compte à la vue des publicités, l’érotisme du flacon avec ses courbes délicieusement féminines.

Et nous sommes tout à la fois ceci et cela. Nous ressentons tout à la fois cette tristesse et ce bonheur, ce plaisir et ce désemparement. Certains considèrent cela comme de l’inconsistance ou de la superficialité mais peut-être est-ce tout simplement notre nature : nous sommes des créatures à large spectre, capables de ressentir simultanément bonheur et tristesse, capables de vibrer simultanément à différentes longueurs d’onde, à différentes émotions, sans qu’il y ait là mensonge ou hypocrisie.

Peut-être cela dépend-il des personnes : Etty Hillesum, enfermée au camp de Westerbork, s’émerveille des fleurs poussant au milieu du camp. Mais quand Simone Weil pense au sort des Vietnamiens, elle est tristesse et seulement tristesse. Est-elle vraiment seulement tristesse, monocouche, univoque, ou s’interdit-elle de ressentir autre chose ? Je ne le sais pas. Peut-être y a-t-il deux tempéraments, ou peut-être n’y a-t-il que deux comportements qui ne se comprennent pas l’un l’autre et qui mutuellement, parfois se méprisent.

Je comprends les Antigone et les Simone Weil, sais la nécessité, parfois, du recentrage et les errements de la polyphonie des émotions. Mais j’en sais aussi la richesse, qui nous permet le rebond et d’être plus ouverts, plus grands, plus étendus que ne le sont les anges. Nous se sommes pas, quant à nous, de purs esprits, plongés dans le pur aérien, nous sommes corps et esprit, pleurs et larmes, pieds dans la terre et tête dans les cieux, tout ensemble et tout à la fois.


PS… Et à ce propos, une polémique qui naît parce qu’une photo montre, au soir de l’incendie de Notre-Dame, Emmanuel Macron et Edouard Philippe se rendant sur les lieux et riant… Que de nostalgiques par avance de la police de la pensée !

Aldor Écrit par :

2 Comments

  1. 17 avril 2019
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    Je suis complètement d’accord, nous sommes des créatures à large spectre mais certains ont la vision qui s’arrête plus sur les choses négatives que d’autres mais plus rarement le contraire… ! Belle journée.

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