Esprit de système


Je n’ai pas compris grand-chose à l’Éthique de Baruch Spinoza, que je viens de lire. Mais j’ai été frappé par le contraste existant entre la clarté de certaines intuitions dont on saisit immédiatement qu’elles sont vraies, et le caractère laborieux des efforts de Spinoza pour donner à ces intuitions un caractère général qui permette de bâtir un système explicatif du monde.

C’est souvent ce qui arrive : on a, sur un sujet donné, une idée lumineuse, et on cherche à donner à cette idée une portée générale ; et c’est alors que tout se brise, car la simplicité, l’élégance initiale, laissent place à quelque chose de lourd et de compliqué qui a perdu la vertu de l’idée première. Ainsi le système de Ptolémée, qui fonctionne probablement bien appliqué à la lune et au soleil mais qui, quand on cherche à l’élargir à l’ensemble du cosmos, exige une accumulation de sphères concentriques et de mécanismes d’exception dont la complexité est un indice de fausseté.

On comprend pourtant le souhait de donner à nos intuitions, à nos idées localement vraies, un caractère global et systématique ; c’est cela qui paraît faire la preuve de leur véracité. Sauf que, dans cet effort, l’évidence, au contraire, bien souvent disparaît, se transformant en son contraire.

Même phénomène avec les militants : ils ont, pour une raison précise, soutenu un parti, une idéologie, une personne. Et leurs idées ayant triomphé, ils se croient obligés, par cohérence et fidélité, à soutenir l’exercice du pouvoir. Sauf que tout est changé et que leur souci de fidélité les oblige à devenir infidèles à leurs idéaux d’origine.

Marchant, tandis que je parle, le long de la plage Notre-Dame, les pieds écrasant le sable et baignant dans l’eau chaude et claire, je fais face à la beauté du monde. Y a-t-il, à cette beauté, une cause unique, une ultima ratio qui permettrait d’en donner la clef ou n’y a-t-il seulement qu’une juxtaposition d’explications locales, un agrégat de petites causes élémentaires ? Nous cherchons tous, comme Spinoza, une raison générale aux choses et parfois, comme ce matin, l’intuition d’une unité profonde du monde, d’une création nous intégrant, nous prend à la gorge. Mais n’est-elle pas une construction née de notre désir de système, une illusion de notre esprit en mal de compréhension ?

Aldor Écrit par :

2 Comments

  1. Ah, l’éthique de Spinoza…très ardu en effet.. Un livre à stabiloter et revenir inlassablement dessus. Pour le comprendre, j’avoue avoir dégrossi sa pensée auprès de gens comme Frédéric Lenoir dans ” Le Miracle Spinoza”. Bien sûr que la beauté du monde matériel fait partie de l’illusion créée de notre conditionnement à voir. Ce qui revient à dire que 90% de notre vie n’est qu’illusions et malheureusement, la majorité d’entre nous la passe à ne voir que les “problèmes”, les jugements, les critiques etc.. Donc, oui, nous vivons en totale illusion. Et même pour quelqu’un de contemplatif, en quête de positivisme malgré la morosité ambiante, ce que nous voyons n’est qu’une déformation de nos capacités visuelles et que ce qui nous entoure n’est en fait qu’un magma énergétique. Mais la quête de la raison n’est-elle pas irraisonnée d’une certaine façon ? Ne sommes-nous pas faits de zones d’ombres, de ressentis après tout ? Je pense que notre quête du beau et de NOTRE vérité (et non LA vérité) est d’être au plus proche de SON énergie divine tapie à l’intérieur de notre matérialité. Afin de connaître l’amour malgré l’impermanence, les cruautés, la souffrance.. Et en connaissant cet amour de soi, alors, l’éthique, la morale, découleront naturellement sans impositions de la “raison”. C’est mon avis 🙂 Bonne journée 🙂

  2. Quant à cette volonté de tout ” rapporter à un système”, elle est effectivement irraisonnée car la vie est impermanence. Je te rejoins que cela crée beaucoup de faussetés notamment auprès des militants qui n’évoluent plus alors que tout bouge continuellement. Nous ne devons pas nous rattacher à un système, mais en essayer plusieurs, et surtout, se laisser porter dedans tout en y apportant sa touche personnelle. Par exemple, accepter le système dans lequel nous vivons (payer ses impôts, travailler etc..) tout en apportant ses petites rebellions personnelles afin de contribuer au changement. Quant à comprendre le “système divin”, c’est peine perdue. Nous nous évertuerions à essayer de comprendre l’infiniment grand et petit. C’est au dessus de nos capacités 😉 Même Einstein n’en avait aperçu qu’un ersatz 🙂 En tout cas, très beau texte, merci 🙂

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