Les importants


 

Les importants – ceux que Georges Bernanos appelle les riches – sont ces personnes pleines de morgue et imbues d’elles-mêmes qui croient que quelque chose leur est dû, qu’il leur est dû quelque chose, non pas parce qu’elles l’ont demandée, mais parce qu’elles la méritent – la mériteraient. Cette attitude n’a rien à voir avec le niveau social ou hiérarchique. Et le fait de croire que quelque chose nous est dû n’a rien à voir avec le fait de la demander ou de l’espérer : celui qui espère sait que ce qu’il espère ne va pas de soi ; et celui qui demande le sait aussi. Alors que qui croit que quelque chose lui est dû se contente de l’attendre, sans espérer, sans demander, sans travailler à l’obtenir : il pense la mériter, de toute éternité.

Cette attitude rappelle un peu ce que Simone Weil dit des droits et des devoirs, mais ça n’est pas la même chose : qui entend faire respecter ses droits entend simplement que soient appliqués les termes du contrat social auquel il a implicitement souscrit ; il est dans la même situation que le chef qui attend de son subordonné qu’il effectue les tâches qu’il lui a confiées. L’attente n’est pas nue, descendue du ciel telle un deus ex machina ; elle découle d’un acte, d’un échange préalable.

Mais celui qui attend sans que jamais aucune demande n’ait été faite se comporte comme si un contrat avait été passé avec le monde, avec la création, avec la vie : “le monde me doit ceci, la vie me doit cela”. Et il recouvre ainsi le jaillissement joyeux de l’existence du voile terne du dû, de l’habitude, du blasement : ne pas voir la beauté des choses parce qu’on a peu à peu désappris à les voir et qu’on ne sait plus y distinguer que le gris des choses qui nous sont dues et vont de soi.

On ne pourrait sans doute pas – nos forces sont trop faibles – s’émerveiller à chaque instant du flux continu de la vie. Nous avons besoin, pour trouver un équilibre, de nous reposer dans l’illusion du temps et de l’habitude. Mais il faut savoir, de temps à autre, nous réveiller au jaillissement des choses, sortir de cet habit d’important que nous revêtons tous un jour ou l’autre, pour nous replonger dans l’émerveillement du monde.

 

Aldor Écrit par :

8 Comments

  1. 4 septembre 2019
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    Je crois que certaines choses sont dues à tout être humain, comme le respect, les moyens de la survie, la sécurité, la justice, etc. Les droits de l’homme ne sont d’ailleurs pas assez appliqués sur cette planète et trop de personnes considèrent que rien ne leur est dû, que leur misère est une fatalité, que l’injustice est la norme.

    • 4 septembre 2019
      Reply

      Oui, bien sûr. Les droits de l’homme relèvent du contrat social que chaque homme a au moins implicitement signé.

      Mais je ne les considérerais pas comme un dû. Ce sont des droits, construits par l’histoire et acquis par la lutte.

      Dire d’une chose quelle n’est pas un dû ne signifie pas que nous ayons tort de la désirer.

      • 4 septembre 2019
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        Oui, mais nous devons faire beaucoup plus d’efforts pour obtenir ce que nous désirons, et aucun effort pour ce qui nous est dû …

  2. celestine
    5 septembre 2019
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    Se sentir important aux yeux de quelques personnes, c’est valorisant et agréable.
    Mais se croire le nombril du monde est effectivement surdimensionné et nous empêche de nous sentir comme faisant partie de ce tout si émerveillant…
    Tout est une fois de plus dans un savant dosage. C’est vrai rien ne nous est dû, rien n’est acquis ( même les contrats sociaux) et la vie se charge de nous rappeler comme elle peut être injuste… mais parfois il est bon de se dire que notre mérite nous a fait obtenir certaines choses, quand on le base sur de belles valeurs humaines, courage, persévérance et bonté, pour en citer quelques unes…
    Bisous cher Aldor
    •.¸¸.•`•.¸¸☆

  3. 7 septembre 2019
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    Je suis bien d’accord avec toi Aldor. De même, je rejette entièrement l’idée que nous méritons qqc, en bien comme en mal.

  4. 9 septembre 2019
    Reply

    Je souhaite à chacun, chacune, de se replonger dans l’émerveillement du monde. S’émerveiller, c’est être vivant, c’est bouger, respirer, sentir, aimer ! Je crois que jamais je ne me lasserai de m’émerveiller ! 🙂

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