Les vertus de l’insouciance


Dans Les choses de la vie, ce très joli et très triste film de Claude Sautet qui était diffusé hier, le héros, joué par Michel Piccoli, fume tout le temps. Il fume à chaque moment, dans chaque scène, allumant très souvent sa cigarette à celle qu’il est en train de terminer, et, après cela, il la jette par la portière de sa voiture car non seulement il fume mais il conduit souvent, et vite, une voiture sportive, par dessus le marché. Et personne ne s’en offusque et chacun agit comme lui.

Il y a, dans l’insouciance de ces personnages à l’égard des questions sanitaires ou environnementales qui nous préoccupent si fortement – si lourdement – aujourd’hui ; dans la légèreté dont ils font preuve et qui choque les jeunes (ainsi que les tartuffes), un charme infini. Et on ne peut qu’être touché par la grâce qui se dégage de cette légèreté si irrémédiablement révolue, comme de celle qu’on ressent au visionnage des épisodes de Mad Men. Tant d’insouciance dans des sociétés par ailleurs tellement coincées, tellement castées, tellement hiérarchisées, misogynes et inégalitaires mais  cependant, à certains égards, tellement plus libres et moins engoncées que la nôtre !

Écrivant cela, me revient à la mémoire la déclaration de Jean d’Ormesson à la fin de la guerre du Vietnam : “un air de liberté flottait sur Saigon”, et la chanson, qu’en retour, écrivit Jean Ferrat pour dénoncer la violence des guerres coloniales.

Est-on forcément réduit à cela ? Est-on vraiment toujours condamné à ce que l’épanouissement de certaines de nos libertés passe par l’étranglement de certaines autres ? À ce que toute liberté suscite nécessairement et ne puisse survivre que sur un terreau d’esclavage, d’ordre moral, d’exploitation de l’homme ou de pillage du monde ? Faut-il toujours et inévitablement choisir entre la peste et le choléra pour finalement hériter des deux ?

C’est peut-être aussi cela, la chute : la conscience attristée de ce que l’insouciance, la belle innocence de l’Eden, la grâce légère de Michel Piccoli fumant ses cigarettes au volant de son Alfa-Romeo, de Romy Schneider achetant ses jolies robes printanières ou de Donald Draper buvant whisky sur whisky dans son bureau de Manhattan,  tout cela se paie ou, plutôt, a quelque part sa contrepartie obscure et souterraine.

L’idée que le paradis n’est pas de ce monde.

 

 

 

Aldor Écrit par :

5 Comments

  1. Je crois comme tu le dis qu’il y a de la vertu dans l’insouciance et que notre société de plus en plus formatée la fait disparaître petite à petit. Hélas !
    Je ne sais pas si tu te fais plus rare ou si je ne vois pas tous tes billets Aldor ? En tout cas c’est toujours un plaisir de te lire. Amitiés.

    • 26 mai 2020
      Reply

      Oui, Catherine, le formatage est terriblement appauvrissant.

      Je ne suis pas sûr de me faire plus tard mais, à Improvisations, s’ajoute Lignes, ou je parle aussi (mais silencieusement).

      https://lignes.improvisations.fr

      • Oui je viens de le voir du coup je m’y suis abonnée !

  2. celestine
    28 mai 2020
    Reply

    Il y a beaucoup de sagesse dans ce billet (c’est presqu’un pléonasme quand on parle de toi…)
    Peut-être ne faut-il pas confondre insouciance et inconscience…
    La première est éminemment positive, c’est la joie primale de l’enfant qui prend le jour comme il vient. La seconde, c’est l’oubli des règles d’équilibre de la nature et du cosmos, au profit de notre ego. Elle nous mènera à notre perte commune…
    •.¸¸.•`•.¸¸☆

    • 3 juin 2020
      Reply

      Ta distinction est très juste, Célestine.

      L’insouciance, c’est très beau. C’est ine fraîcheur de l’âme et une vertu.

      Et l’inconscience, c’est bien autre chose.

      Bises.

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