Au théâtre, l’autre jour, exercice consistant à se mettre dans la peau d’un personnage. J’y ai lamentablement échoué.
J’arrive assez facilement, je crois, à me mettre à la place d’Untel ou Untelle, à jouer au « si j’étais elle » ou au « si j’étais lui », pour comprendre son point de vue. Cet échange de points de vue ne va cependant pas très loin : on peut, et c’est ce qu’on fait le plus souvent, permuter les rôles et conserver cependant sa façon de voir en plaquant sur l’autre notre propre sensibilité : à ta place, voici ce que je ferais. On change de place mais on garde le Je.
Il est déjà beaucoup plus difficile de se mettre dans la tête, dans l’esprit d’une personne, d’intégrer non pas seulement son point de vue mais sa façon de voir, de penser, de réagir. On y arrive, mais pas toujours, et il est courant qu’on se trompe, qu’on prête à l’autre des intentions qu’il ou elle n’avait pas, qu’on projette sur lui, sans le vouloir, des fantasmes : nos propres désirs, nos propres effrois, surtout, entraînant ordinairement une succession de catastrophes et d’incompréhensions, d’autant plus douloureuses et surprenantes qu’on croyait agir avec délicatesse et qu’on pensait bien faire.
Mais se mettre dans la peau, c’est beaucoup plus compliqué encore. C’est tenter d’arriver à la vérité de l’être par une toute autre voie, ou par une voie supplémentaire, celle que porte le corps (et qui s’exprime d’ailleurs souvent au travers de la voix, avec un x cette fois-ci).
Sans doute n’est-il pas totalement juste, mais il n’est pas totalement faux non plus, de croire que la dignité non seulement s’exprime mais se crée, pour partie, dans le maintien du corps, l’attitude, le port de tête. Je veux dire que le corps n’est pas seulement le réceptacle d’un esprit qui y imprimerait sa marque comme les vices de Dorian Gray flétrissent son portrait ; il est parfois, souvent, et peut-être même toujours une des sources auxquelles s’abreuve cet esprit : c’est de l’épine plantée dans son dos que naît la méchanceté de la sorcière de Kirikou, et Quasimodo ne serait pas qui il est dans un corps différent. C’est que le corps (son avachissement, son rayonnement, sa splendeur, ou au contraire son côté rabougri et gollumesque) ; le corps non seulement s’exprime mais se voit, est cette chose qui se voit, cette chose qui se reflète dans le regard des autres, cette chose que, comme le miroir de la marâtre de Blanche-Neige, le regard des autres construit. C’est l’extraordinaire expérience relatée, il y a trois-quarts de siècle, par John Howard Griffin dans son livre Dans la peau d’un noir.
Se mettre dans la peau d’une personne, c’est tenter l’expérience d’un lâcher-prise total durant lequel on se fie entièrement à ce que susurre, à ce que chuchote, à ce que hurle plutôt notre corps, ou plutôt le corps de cet être que nous essayons d’être, cet être que, magiquement, nous comprendrons probablement plus en le singeant qu’en l’étudiant, un scalpel et les ressources de l’esprit à la main.
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