Un passé pas mal présent

Last updated on 3 septembre 2025

Andromède au-dessus de la Cerdagne (Création hybride)

Je regardais l’autre soir, au zénith du beau ciel de la Cerdagne, une petite tache allongée et floue (beaucoup plus allongée et floue que ne semble le dire mon dessin), la galaxie d’Andromède.

Comme on le sait peut-être (c’est, étrangement, une de ces choses que savais parfaitement étant enfant) ; comme on le sait peut-être, donc, la galaxie d’Andromède, qui est l’objet le plus lointain qu’on puisse voir à l’œil nu ; la galaxie d’Andromède, donc, est distante de 2,5 millions d’années lumière. Ce qui signifie que la lumière, qui voyage à 300 000 km par seconde, met 2,5 millions d’années à aller d’elle à nous, ou encore que l’image que nous apercevons d’elle est datée de 2,5 millions d’années.

Ce qui me trouble dans cette affaire est que, comme on le sait peut-être également, la vitesse de la lumière est le plafond absolu de toute vitesse : rien, absolument rien ne va ni ne peut aller plus vite qu’elle. La vitesse de la lumière est donc la vitesse de la lumière mais elle est aussi, d’une certaine manière, la vitesse du temps, la vitesse à laquelle se déplace le présent : même si la lumière que je reçois de la galaxie d’Andromède a été émise il y a 2,5 millions d’années, la considérer comme une image du passé suppose qu’il pourrait exister d’elle une image plus récente ou plus actuelle, ce qui est physiquement impossible. Cette image n’a donc rien, en fait, d’une image du passé ; elle est au contraire une image parfaitement contemporaine, rien ne pouvant être plus contemporain, plus actuel que cela.

C’est comme si chaque être, chaque point de l’univers établissait avec les autres, tous les autres, un rapport de contemporanéité dépendant de la distance qui les sépare : avec mon voisin de TGV et, de façon plus générale avec  les êtres et les choses de la Terre ce rapport se confond avec l’immédiateté ; mais plus la distance est grande, plus ce rapport tend vers le passé : je suis contemporain de la lune d’il y a un peu plus d’une seconde, du soleil d’il y a huit minutes, et de la galaxie d’Andromède d’il y a 2,5 millions d’années. Et les grands télescopes, qui collectent d’immenses quantités de lumière, voient des objets célestes situés à plusieurs milliards d’années-lumière, nous rendant quasi-contemporains du Big Bang initial, de l’explosion d’où sortit le monde.

Allons plus loin : imaginons que d’hypothétiques habitants de je-ne-sais quelle planète de la galaxie d’Andromède me fassent coucou de la main et qu’aimablement je leur rende leur coucou, 5 millions d’années se seront écoulées entre leur premier geste et la perception du mien, 5 millions d’années qui seront ainsi dans une même poche de présent. Et si, tandis que je fais coucou aux Andromédiens, je vois dans mon télescope une supernova éclatant il y a 10 milliards d’années et regarde le clair de lune, je suis simultanément contemporain de tous les âges du monde, des âges qui ne se succèdent pas mais s’entremêlent en fonction de la position relative des uns et des autres.

J’ai une grande difficulté à saisir toutes les implications de ce présent un peu mou, extensible, parcellisé.


En accompagnement musical, s’imposait Andromeda, de Weyes Blood

Note du 3 septembre 2025 : j’ai changé le titre : un passé pas mal présent est plus parlant qu’un présent pas très présent.


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