Onctuosité

Le rasage (création hybride)

Me rasant, ce matin, je trouvais la mousse de mon blaireau (faux blaireau,  évidemment : la fabrication des vrais est une torture pour les animaux éponymes) ; je trouvais, donc, la mousse de mon blaireau onctueuse ; et je songeais (car on peut, au cours d’une journée, songer à beaucoup de choses, beaucoup de choses diverses, désordonnées et un peu anarchiques, un peu sans queue ni tête : à la mousse, aux éoliennes qui tournent et qui s’arrêtent, aux gyroscopes, au musée Delacroix ou au nacre, au nacre auquel je songe actuellement parce que Claude m’en parlait l’autre jour) ; je songeais, donc, que l’onctuosité est une qualité rare, je veux dire qu’il y a peu de choses qu’on puisse justement qualifier d’onctueuses ou d’onctueux.

Ce n’est pas que les choses douces, fondantes ou sucrées soient peu nombreuses, mais il n’est pas courant qu’elles le soient simultanément ; si peu courant que je ne vois que deux substances qui puissent vraiment mériter de se voir accoler cet adjectif : la mousse et la crème.

Il y a beaucoup de choses (je crois même toutes les choses) ; il y a beaucoup de choses, et peut-être donc toutes, qui, pour peu qu’on s’y intéresse, sont ou deviennent intéressantes. Et en voici justement une : l’existence, dans la langue française, d’un adjectif qui ne peut parfaitement qualifier que deux substances (peut-être trois si l’on y ajoute le miel – mais le miel me paraît trop collant pour être vraiment onctueux.)

Onctuosité. Il faut avoir en bouche ou sur la peau la sensation si particulière de la mousse à raser, de la crème Chantilly ou de la mousse au chocolat (en évitant de manger ce qui doit être étalé sur la barbe) ; il faut avoir senti cela pour comprendre ce dont il s’agit : une manière de fondre, de se dissoudre, de disparaître, de se fondre sur le visage ou sur la langue qu’on reconnaîtrait entre mille.

On parle parfois aussi d’onctuosité pour les personnes, notamment me semble-t-il (mais peut-être est-ce image d’Epinal) pour les vieux prêtres un peu vicieux, un peu hypocrites et caressants ; mais il me semble que doucereux serait plus approprié pour décrire cette attitude malsaine, ou peut-être obséquiosité, dont les syllabes finales sont assez proches, rudes et gutturales, de celles de l’onctuosité, et pareillement à l’opposé de la sensation qu’on éprouve.

Le tu mouillé de l’onctueux est cependant plus agréable. Il rappelle l’onction, cette bénédiction huileuse dont on renaît oint du seigneur et qui, dans les matins de septembre, adoucit de sa mousse la lame acérée du rasoir.

Quand je me rase, je me prends toujours un peu pour le Charlton Heston des Dix commandements coupant sa barbe après avoir vu Dieu.

Charlton Heston dans Les dix commandements

En accompagnement musical, derrière ma lecture, C’est la ouate, de Caroline Loeb, qui se prêtait assez bien à l’onctueux.


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