
(c) Ashton and Carpenter, « Applying Foucault in enterprises », Management Studies, MIT, 1985
Le manager doit donc, dans la punition comme dans le reste, faire preuve d’effacement, de dévouement à l’entreprise, de discipline. C’est là une qualité absolument nécessaire au meneur d’hommes : pour commander, il faut d’abord savoir obéir.
Il existait, dans les années 1960, un petit test d’aptitude au management élaboré par un professeur de l’université de Yale. Se présentant sous la forme sympathique d’un jeu d’acteurs, il permettait d’évaluer de façon assez précise l’obéissance, et donc la capacité à commander, des apprentis managers. Las ! L’utilisation de ce test, conçu par Stanley Milgram, fut interdite, pour des prétextes fallacieux, sous la pression des hippies californiens, de ces drogués prétendument progressistes qui, sous couvert de défense des droits de l’homme, visent toujours, en fait, à censurer la liberté de création et d’expression.
Bon : le test de Milgram n’est plus mais nous avons désormais, pour le remplacer, le logigramme, ce schéma plein de cases et de flèches multicolores qui permet de remplacer la réflexion et l’interrogation par l’application d’un algorithme bien ficelé, et de passer par la même occasion d’une question donnée : « Faut-il traverser la rue sur les passages cloutés ? », par exemple, à une réponse qui n’a strictement rien à voir : « les actes de sabotage doivent être sévèrement réprimés ». Aucun rapport n’existe entre la question et la réponse mais celle-ci colore insidieusement la question et permet ainsi de criminaliser, par une sorte d’assimilation, des comportements anodins, tout en donnant l’impression au manager que ces cheminements erratiques et franchement manipulateurs sont le résultat d’un raisonnement carré et irréprochable.
Grâce au logigramme, à ses jolies flèches, à ses cases mélangeant les choux et les carottes et à ses choix biaisés, le manager de 2025 peut avoir le sentiment de n’être pas vraiment responsable de ses actes puisqu’il ne fait qu’appliquer des processus scientifiquement élaborés, des processus qui conduisent à une punition rationnelle et logiquement fondée sur laquelle il n’a pas vraiment la main.
S’il s’appuie en plus (comme on le lui conseille avec une lourde insistance) sur des outils à base d’intelligence artificielle eux-mêmes conçus pour orienter et canaliser les décisions, il se retrouve dans la position du soldat, du simple soldat exécutant les procédures prescrites par le règlement, dans la posture du rouage embrigadé par une machine plus puissante que lui ; dans la figure de l’homme fait humilité, pétri peut-être même de cette banalité qu’évoquait Hannah Arendt à propos de je-ne-sais-plus quel homme qui, au début des années 1960, était jugé à Jérusalem.
Voilà : il ne suffit plus, aujourd’hui, pour retrouver l’efficacité organisationnelle de l’avant-Covid (voire, soyons fous, de l’avant 68 ou de l’avant Front populaire) ; il ne suffit plus, disais-je, de punir, il faut punir bien, avec froideur et détachement.
NB : il est regrettable de devoir le préciser (mais c’est apparemment nécessaire) : cet article est évidemment une parodie, une satire.
En illustration sonore, derrière ma lecture, un enregistrement de salle informatique (mais qui pourrait être un datacenter) trouvé dans l’excellente banque de sons de la BBC
L’ensemble de la série Manager dans le post-Covid.
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