Improviser/Vivre

Improvisation théâtrale
(image générée par IA)

C’est amusant comme l’improvisation théâtrale est un art difficile. À la pratiquer parfois (très rarement), on perçoit soudainement la panique que la vie quotidienne pourrait provoquer, doit probablement provoquer dans certains cas d’introversion, si nous n’étions pas génétiquement programmés pour l’affronter.

Vivre, en effet, c’est improviser : c’est devoir, à chaque instant, placer un mot après un autre, agir, réagir, nous mouvoir, adapter notre comportement à ce qui nous entoure, à ce qui nous arrive, aux paroles et gestes de celles et ceux qui sont autour de nous et que nous ne connaissons pas, que nous ne sommes pas capables de prévoir entièrement. C’est, à chaque instant, devoir inventer et incarner quelque chose de fondamentalement neuf et inédit, quelque chose qui ne s’est jamais produit, qui ne se reproduira jamais, et qui est déterminant car de lui dépendra la chaîne, toute la chaîne infinie du futur qui ne sera pas la même selon qu’on agisse comme ceci ou comme cela.

Posée ainsi (et on peut la poser ainsi sans mentir ou dénaturer la vérité), la vie, la simple vie de tous les jours peut, sous ses dehors de quotidienneté et de banalité crasses, être considérée comme quelque chose d’extraordinairement exigeant, la source légitime d’une immense angoisse susceptible de provoquer une inhibition absolue : comment ne pas être saisi de vertige à la perspective de ce flux ininterrompu de moments, de gestes, de propos, d’odeurs, de sons, de pensées dans lequel il va falloir nager, avec lequel il va falloir, sans cesse, sans possibilité de retrait sous sa tente, se dépatouiller ? Ainsi envisagée (et, encore une fois, il n’y a, dans cette description, aucune fausseté, aucune caricature), vivre, serait-ce de la vie la plus banale, peut donner le vertige.

Et pourtant, de même que les grands modèles de langage (LLM) arrivent étonnamment à aligner, en réponse à une requête inédite, une suite de mots faisant sens, nous arrivons le plus souvent à vivre, à trouver un chemin au travers du flux continu du temps, comme arrivent à le faire, au demeurant, tous les êtres vivants, exposés eux aussi, quels qu’ils soient, à la radicale impermanence des choses, et trouvant paradoxalement dans cette impermanence, pour partie angoissante, le plaisir, l’immense plaisir de vivre : mettre un pied devant l’autre, découvrir ce qui se cache de l’autre côté, construire un discours en réponse à un autre discours, adapter continûment notre comportement à ce que nous saisissons du monde qui nous entoure ; cela, qui pourrait nous miner, nous remplit de joie et d’allégresse, comme cela remplit de joie et d’allégresse le corbeau, le scarabée, le dauphin ou la girafe : nous jouissons, tous autant que nous sommes, de la nécessité de devoir à chaque instant nous adapter, et de devoir ainsi aller de surprise en surprise.

On se rend compte, dans l’improvisation théâtrale, de l’abime insondable qui s’ouvre sous chacun de nos pas, de l’immense page blanche à remplir en quoi consiste, en chaque instant, la vie, la merveilleuse vie.


Quelle meilleure illustration musicale de mon propos que la chanson mythique Life is life, du groupe Opus, qu’on peut entendre derrière ma voix ?


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