Tayloriser les hommes puis les remplacer par des robots


Les grandes entreprises ont mis en place des processus d’assurance qualité qui visent à éviter les écarts et à standardiser la production. Dans les fonctions tertiaires, et notamment dans tout ce qui relève des relations avec les clients, ces processus prennent la forme de scripts, d’argumentaires, de consignes, qui doivent être scrupuleusement suivis et auxquels il est hors de question de déroger : les entrées en matière, les salutations, les développements, les réponses aux principales questions habituellement posées sont scrupuleusement et précisément rédigés de façon à ne laisser plus aucune place à l’initiative ; ce n’est pas seulement le sens du discours qui est ainsi prescrit mais la façon de l’énoncer, pas à pas, mot à mot, avec interdiction de s’en écarter.

Ces dispositions ont sûrement eu pour effet d’éviter les contre-références et d’accroître la qualité moyenne des prestations rendues. Mais elles ont également pour effet de dégrader fortement la capacité de réponse aux problèmes sortant de l’ordinaire.

On en a tous fait l’expérience en tant que client. Dès qu’on a un problème un peu particulier avec une grande entreprise, il devient de plus en plus difficile de le résoudre parce que notre problème ne correspond pas à la grille d’analyse, aux scripts, aux argumentaires que nos interlocuteurs ont pour devoir de suivre. On nous renvoie donc de personne en personne, de numéro en numéro, de service en service ; on nous fait répéter cinquante fois la même chose, sans lien avec notre problème, tout simplement parce que les consignes données à nos interlocuteurs prescrivent cela. Et aucun de ces interlocuteurs ne se sent autorisé, à moins d’être un manager de haut rang, à prendre notre problème à bras le corps pour essayer de le résoudre indépendamment des procédures indiquées.

Non seulement cette évolution dégrade fortement la relation avec des clients particuliers qui font l’expérience d’un monde kafkaïen dans lequel personne ne les écoute vraiment, mais elle nuit probablement à la résilience,  à la capacité de l’entreprise de surmonter des crises : en cas de perturbation inattendue, de situation imprévue (et les rédacteurs d’algorithmes et de scripts ne peuvent jamais tout prévoir), il est probable que la machine s’immobilisera, buggée par le grain de sable qui n’était pas censé être là.

L’autre conséquence de cette évolution est de rendre de moins en moins nécessaire les hommes : plus le travail demandé écrase l’initiative, plus il ressemble à celui d’un robot ou d’une intelligence artificielle, et plus il peut être effectivement effectué, sans dommage, par un robot ou une IA. C’est ainsi qu’on robotise les tâches, diminuant la qualité du service rendu pour pouvoir ensuite remplacer les hommes et les femmes qui les effectuaient par des robots. Et le travail ayant été effectivement vidé de sa substance et de son sens (comme celui des caissières, à qui l’on demande d’être de plus en plus rapides et de moins en moins humaines), on a beau jeu de prétendre que les emplois supprimés étaient répétitifs et sans intérêt. On les supprime donc, accroissant encore les inégalités de revenus, et cela pour le seul profit d’une machine devenue folle….


Et puisque je parle de robots, bonjour à mon ami Zaven, grand maître en la matière.
Zaven Paré : Ex Machina (c) Galerie Charlot

 

 

Aldor Écrit par :

5 Comments

  1. 7 septembre 2019
    Reply

    Déshumanisation de la société, robotisation de l’homme … Même la psychologie nous enseigne que nous sommes des “ordinateurs fautifs” ou “des algorithmes pleins de bugs” …

  2. 7 septembre 2019
    Reply

    Que seraient devenues les œuvres de Stradivari ou de Bateson et de bien d’autres si ils et elles avaient dû se plier à des normes et à des procédures. Normes et procédures évitent ce qui est mauvais et c’est tant mieux. En revanche, leur imposition aveugle empêche les coups de génie, et ça …
    Merci, Aldor, et une belle soirée à toi.

    • 7 septembre 2019
      Reply

      Bateson ?

      • 7 septembre 2019
        Reply

        Gregory Bateson, fondateur, ou un des fondateurs, de l’école de psychologie de Palo Alto. Le gars était génial. Personne, pas même lui, n’a compris comment lui venaient ses coups de génie et n’a pu en formuler une “théorie”. Il n’en reste pas moins que l’École de Palo Alto et ses descendances sont remarquables … “coups de génie” en moins !

        • 7 septembre 2019
          Reply

          Merci, Gilles !

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