Voilà pourquoi on ne peut plus chercher un numéro de téléphone dans l’annuaire interne sans tomber sur le récit d’un technicien qui, a ses heures perdues, sauve les manchots de Patagonie, ou d’une cheffe de centre qui inaugure la semaine prochaine sa troisième exposition au MoMA.
Auteur/autrice : Aldor
Habiter vraiment son rôle (ou sa fonction) est le seul moyen de lui donner vie et humanité, de lui ouvrir les chemins de la morale et du remords, et de lui permettre d’échapper à la fonction de rouage anonyme appliquant mécaniquement les consignes reçues.
Il y a, dans tout sentiment amoureux, l’ambition (la prétention ?), l’illusion peut-être, d’être celui ou celle par qui l’espérance, la joie et le salut se fraieront un chemin jusqu’au cœur de l’autre ; d’être le prince charmant dont les sentiments purs, l’amour vrai et le dévouement sauveront l’être aimé de son sommeil, du sort qui lui fut jeté, de ses peurs ; et lui permettront d’être enfin lui-même, d’être qui il ou elle est vraiment.
C’est toujours cette ambition un peu démesurée, un peu ridicule peut-être, d’être non pas la chose et son contraire mais la chose dans son entièreté, dans sa diversité, dans son épaisseur, sa gravité et sa légèreté, tout ensemble et pour le même prix : un homme ou une femme, tout simplement, pieds dans la terre et tête dans les étoiles.
Je me demande s’il n’y a pas, dans notre amour du maquillage, de la coiffure, de la scarification, du vêtement, de la mode, dans notre recherche continuelle de ces atours qui à la fois nous fondent et nous distinguent, le désir de pousser plus loin encore, serait-ce en le brouillant, ce jeu délicieux de l’habit et du moine, du rôle et de la reconnaissance.
C’est précisément dans l’acceptation du mouvement propre de la discussion, et donc dans l’abandon de nos arguments premiers, que le progrès de la réflexion et la qualité de l’échange résident.
Dans l’arrêt de la main et dans la retenue, quelque chose peut naître, qui n’était ni nécessaire, ni attendu. Et c’est ainsi que paraît l’autre grâce : dans le vide et le silence volontairement laissés, dans l’attente qui se répand, l’altérité, la création, le divin, peuvent advenir, en une répétition du Tsimtsoum initial.
J’ai, pour ceux qui au travers de l’aquarelle, de la photographie, du dessin, de la poésie, du chant ou de la musique, savent rendre et exprimer la mélancolie des choses, la beauté tendre et discrète qui y est contenue, invisible à ceux que le temps presse, une immense gratitude. Leur attention révèle ce que le premier regard ne voit pas, il rend au monde sa douceur et sa complétude.
Sans doute une part de l’humain est-elle dans cette distraction chronique, dans cette difficulté à rester mobilisé vers un objectif unique, dans ce dilettantisme constant de l’attention qui est à la fois ravageur et fécond. Ravageur parce qu’il interdit d’approfondir, qu’il gêne l’étude et le travail arides ; fécond parce qu’il permet d’évoluer, de passer à autre chose et, parfois, dans ce cheminement vers autre chose, de mieux revenir à ce qu’on a quitté.
Si j’étais Antonio Gramsci, Hannah Arendt, Marcel Camus, George Orwell, Simone de Beauvoir, Etienne de La Boétie, ou l’une quelconque de ces personnes dont les citations, tirées de leur contexte et assénées comme des vérités définitives et intemporelles, sont constamment mises en avant, je serais un peu fâché