Je devais rendre prochainement mon mémoire, mon mémoire d’histoire, consacré à Jean Vilar. Mais mon Jean Vilar n’était pas l’homme de théâtre. C’était un politicien de la Troisième République, un homme en noir et blanc habillé d’un chapeau façon Joseph Caillaux.
Auteur/autrice : Aldor
Il y a une façon de rendre hommage aux gens, que nous pratiquons tous, je pense (du moins je sais que cela m’arrive) et qui est à la fois irritante et malvenue. C’est celle qui consiste à souligner non pas les qualités intrinsèques d’une personne ou de son œuvre mais la notoriété des hommes et des femmes qu’elle a côtoyées.
Qu’on porte plus d’attention aux victimes qui nous sont proches qu’à celles qui, à tort ou à raison, paraissent plus éloignées, c’est normal et sain. Mais qu’on oublie les victimes de l’autre camp, ou que, dans notre façon d’en parler, on manifeste qu’on les juge moins importantes, moins dignes d’attention, de respect ou de compassion que les autres, et on s’engage alors sur le chemin de la propagande, qui conduit au pire.
Pour voir, il faut déjà savoir, pour paraphraser Pascal (et peut-être aussi, disent certains, Rûmi, ou Augustin, ou peut-être les deux)
Quand vient l’hiver, nos nuits sont plus belles que nos jours, pour reprendre et décaler un peu ce beau vers de Racine évoquant les nuits de janvier à Uzès.
“Il y a une limite précise dans l’aide apportée aux autres. Au-delà de cette limite, invisible à beaucoup, il n’y a que volonté d’imposer sa propre façon d’être”, observe Modesta, la libre et superbe héroïne de L’Art de la joie, de Goliarda Sapienza.
La femme de Montserrat, sculptée par Juli Gonzàlez, et qui hurle sa douleur, n’a ni camp ni patrie. C’est une paysanne catalane (mais elle pourrait être de partout), et on ne sait si elle a été victime des crimes fascistes dénoncés par Georges Bernanos ou des exactions républicaines dénoncées par Simone Weil. Et cela importe peu car cette femme, cette Pietà moderne, incarne, dans la souffrance de son cri, toute la douleur humaine, l’universelle et unique douleur humaine.
Il y a l’injustifiable, l’irréparable qui a été commis et qu’on ne peut laisser impuni.
Et puis il y a l’idée qu’on ne combat jamais pour le passé et pour punir mais seulement pour construire un avenir meilleur, et que c’est cela seul qui doit guider.
Il y a l’idée que c’est justement parfois en ne laissant pas le passé impuni que l’avenir peut vraiment se construire.
Et puis il y a l’idée qu’il y a des façons de punir qui reproduisent le mal commis et qui ne font que remettre une pièce dans la machine.