Cultiver notre jardin


Me promenant, à la fin du mois d’août, sur les routes de France, je m’arrêtais souvent dans les près et les bois pour regarder les fleurs, les abeilles, les hirondelles, les arbres, les champs. Et pensant à l’aphorisme de Voltaire, dans Candide, je me disais que nous, urbains, avions désormais peu de jardins à cultiver, et que là était peut-être une des causes de nos maux (pour autant, du reste, que de maux, nous en éprouvions plus que nos prédécesseurs – ce dont je ne suis pas certain).
J’étais en fait un peu gêné par les relents vichystes, pétainistes, de cette réflexion, son côté Retour à la terre qui, elle, ne ment pas, comme avait joliment trouvé Emmanuel Berl, et ai réalisé, enfonçant une porte ouverte comme je sais si bien le faire, que c’était autre chose, sans doute, que voulait dire Voltaire, le sieur Arouet n’étant pas du genre à prôner la fuite loin de la perversion des villes. A tout le moins, c’était à autre chose que sa phrase pouvait inviter.

Avoir un jardin, un vrai, présente de nombreux avantages. Les femmes et les hommes des villes que nous sommes s’affrontent peu aux grands phénomènes cosmiques que côtoie qui vit à la campagne : les saisons sont étouffées, les astres du ciel cachés, et le rythme même des jours et des nuits attenué par l’éclairage. On se sent plus vibrer au diapason du monde quand on est dans les champs ! Mais il n’est pas besoin, je crois, de vraies fleurs pour les arroser, de vrai jardin pour le cultiver.

Le jardin de Candide, c’est tout ce qui est à notre portée, tout ce que, à notre modeste échelle et sans prétendre à la grandeur ou au salut du monde, nous pouvons faire : faire bien notre travail, notre ménage, notre repassage, notre vaisselle, élever nos enfants, aimer ceux que nous aimons et être bon avec tous, entretenir notre esprit et notre corps, faire de la cuisine ou de jolis dessins – arroser nos fleurs et cultiver notre jardin si nous en avons un. Le jardin est cette chose qui nous est proche et familière, et sur laquelle nous pouvons, avec précaution et délicatesse, respect et gentillesse, agir effectivement. Il est ce sur quoi nous pouvons, véritablement, mettre à l’épreuve nos grandes idées, nos grands serments, nos grandes résolutions, et pour commencer les mettre en œuvre sans que le monde entier en soit mouillé. Et l’on est déconcerté, parfois, de la facilité avec laquelle nos grands idéaux se fracassent contre la petite réalité ; ce peut être une leçon salutaire.

À cultiver bien son jardin, à s’y essayer tout au moins, on comprend mieux le grand jardin du monde, ce qui peut conduire à plus de compréhension ou de retenue quand il s’agit de juger de sa marche. Mais l’essentiel n’est pas là. Cultiver son jardin – le cultiver bien, s’entend : avec soin et amour – prend du temps et oblige nos yeux et notre esprit, si prompts à se tourner vers le grand large, à accorder plus de temps et d’attention au proche et au domestique. Et le temps passé, comme dans ces villages du Nord, à aligner mignonnement des pots de fleurs sur le rebord des fenêtres, ce temps passé n’est pas perdu. Il accroît la beauté du monde et bonifie celui qui le prend (le temps), qui a su donc résister à la tentation immense de partir au loin, ne serait-ce qu’en esprit, pour fuir la banalité – et jusqu’à l’existence ! – de son chez soi. Il est tellement plus simple de refaire le monde que de faire son ménage, tellement doux de prétexter un monde à refaire pour ne pas faire le ménage chez soi ! Faire son ménage, c’est se coltiner la réalité du monde, toucher des mains les arrangements qu’on prend chaque jour avec les règles qu’on voudrait assigner aux autres et mettre de l’ordre dans ce fouillis de l’âme qu’on aimerait tant pousser sous le tapis !
C’est commencer par le commencement. Et après on peut refaire le monde. On le doit, s’il le faut. 
PS 1: …Évidemment (mais précisons-le tout de même), il ne suffit pas de cultiver son jardin pour devenir sage meme si les naïfs peuvent s’y laisser prendre. Je me souviens à ce propos de Bienvenue Mister Chance, ce film dans lequel on voyait un jardinier, Peter Sellers, devenir la marotte d’un président des États-unis qui buvait ses paroles de jardinier comme celle d’un sage ou d’un oracle.

PS2 : Et on peut ne pas cultiver son jardin et ne pas fuir, pour autant, la réalité.
Aldor Écrit par :

2 Comments

  1. 12 septembre 2019
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    J’ai étudié le Candide de Voltaire en terminale, en philo, et d’après mes souvenirs lointains, c’est exactement ce que tu dis … Cultiver son jardin n’est pas à proprement parler retourner la terre et planter des tomates mais bien cultiver en soi le bonheur des choses du quotidien. De nos jours Pierre Rhabi prône aussi ce retour à la terre, au sens propre comme au sens figuré d’ailleurs.
    Bonne fin de journée Aldor 😊

  2. 20 septembre 2019
    Reply

    Pouvoir cultiver son jardin, cela veut dire que nous avons la chance de l’avoir ce jardin, et nous devons donc en prendre soin. Tant de gens n’ont pas ce privilège. C’est comme une maison. Si l’on a une maison, mais que l’on ne s’en occupe pas, qu’on ne la nettoie pas, qu’on laisse la saleté l’envahir, ce n’est pas respecter la chance que nous avons de l’avoir. Et si l’on ne prend pas soin de sa maison, c’est peut-être que l’on ne prend pas soin de soi…

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