Marseille

Last updated on 30 novembre 2024

Bordélique : magnifiquement et malicieusement bordélique et insaisissable, méditerranéenne et anarchique, presque grecque et athénienne ; telle est Marseille,  cité selon mon coeur.

Cela commence par ses montagnes qui surgissent à chaque coin, sur qui se sont brisés les rêves totalitaires des géomètres et des urbanistes, sur les sommets desquelles on a parfois construit mais qu’on a souvent dû laisser sauvages, rocs blancs et plants de romarin jaillissant au coeur de la ville.

Il y a le vent, qui s’engouffre partout, qui souffle et déchire et fatigue et assèche, qui siffle dans les drisses, claque dans les voiles, blanchit les flots et fait grincer sur leurs gonds les volets battant contre les murs.

J’ai, du côté des Grandes Carmes, cherché l’entrepôt du père de Paola, sa porte grise (ou était-elle verte ?) derrière laquelle tant de choses étaient entassées. Mais ce fut peine perdue : il y avait tellement longtemps !

Il y a la lumière et les ombres, le soleil et son éblouissement.

Il y a la mer : comment peut-on construire une ville loin de la mer, de son parfum et de ses ouvertures, de ses embruns, de ses horizons, de ses promesses et de ses au-delà ? Comment, quand on a goûté au large, se contenter, se contenir dans le languissement d’un fleuve ?

Il y a le ciel, immense, et les nuages qui y naviguent, le ciel dont le gris et le bleu rejoignent, tout au bout, le bleu et le gris de la mer, les oiseaux qui le traversent et y jettent leurs cris, les goélands qui, dans les rues, marchent sur les voitures, dédaigneux des gros rats crevant sur la chaussée.

Il y a le désordre, l’arlequinade quasi fractale de ces quartiers où il suffit d’une rue pour franchir une frontière, passer d’un monde à un autre, sortir des rues crasseuses explosées de tags multicolores et pénétrer un monde aux murs immaculés ; et puis, on ne sait pas très bien pourquoi ni comment, replonger soudain dans la zone et la violence.

Il y a les bougainvilliers débordant des murs sertis de tessons de bouteilles des résidences fermées du Roucas blanc, ces grands domaines, ces immenses villas dominant la corniche de leur splendeur et de leur luxe, de leurs jardins et de leur calme.

Il y a les rues dégringolant depuis Périer, ces rues aux airs de San-Francisco où les voitures, comme dans Bullitt, raclent de leur pare-choc le goudron des chaussées, faisant jaillir des étincelles.

Il y a la Madrague, et les Goudes, et Callelongue, ces bouts du monde jusqu’au bout desquels j’ai marché, tentant de retrouver, quelque part entre le Prado et Mazargues, cette étrange bâtisse où Isabelle, étant enfant, donnait ses fêtes et ses goûters. Mais il avait disparu, le château d’Isabelle.

Il y a le port, le port marchand le long des quais duquel nous étirions les courts dimanches d’hiver, sursautant à la clameur des sirènes, dont l’appel sourd précédait le lourd martèlement des machines et nous faisait rêver.

Il y a la mer et tout ce qu’elle apporte ; la mer et tout ce qu’elle promet.


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