Un coup de dés jamais n’abolira-t-il le hasard ?

Sisyphe roulant vers le sommet le dé du hasard qui chute (création hybride)

Imaginons que, 999 fois de suite, le dé (un dé non pipé, honnête et sans malice) soit tombé sur le 5. Qu’il tombe, au millième coup, une nouvelle fois sur le 5 paraît impensable : une telle occurrence serait tellement extraordinaire que son renouvellement ou sa perpétuation relèverait quasiment de la magie, de cette abolition du hasard chantée par Mallarmé. Et pourtant, nous savons bien qu’au millième coup comme au premier et quels qu’aient été les coups précédents, le dé a autant de chances de tomber sur le 5 que sur n’importe quelle autre face. Même s’il est presque miraculeux que le 5 sorte mille fois de suite, la probabilité locale et immédiate des événements demeure inchangée, et le 5 n’a pas moins de chance de sortir que n’importe lequel des autres nombres portés par les six faces du dé.

Du plus loin que je me souvienne (j’aime beaucoup cette expression que Barbara utilisa avec grâce mais qu’elle ne fut pas la première à utiliser) ; du plus loin que je me souvienne, donc, j’ai toujours eu du mal à faire coexister, à concilier dans mon esprit la croyance (la foi ?) en les probabilités, cette sorte d’ordonnancement, d’harmonie du monde qui se dessine sur le long terme, au bout d’un nombre infini de tirages ; et le constat du chaos local, de cette incapacité où nous sommes de savoir de quoi demain, l’instant prochain sera fait, ce qui sortira du prochain lancer de dé.

La difficulté vient du fait que l’infini est un horizon : quel que soit le chemin parcouru, quel que soit le nombre de lancers, on ne se rapproche jamais vraiment de la fin, qui demeure toujours aussi lointaine, si bien qu’il est illusoire, et souvent désespérant, de guetter les signes de convergence, de rééquilibrage, d’émergence progressive de l’ordre là où le chaos d’aujourd’hui ne fait que succéder au chaos d’hier.

Ainsi en va-t-il aussi de l’histoire, de notre histoire à nous, êtres humains : émerveillés, et plus encore émus qu’émerveillés, par notre intelligence, notre créativité, notre énergie, nos talents,  on se dit que le jour où nous aurons trouvé la paix, où cette créature aura appris à se dégager des soubresauts des haines et des guerres, elle retrouvera, par delà l’absurdité des choses, le beau chemin paisible qui est le sien, ce chemin vers lequel elle se dirige, dans lequel elle se coule naturellement et qu’on devine, les soirs d’été, dans la quiétude des promenades dans les jardins publics des villes du monde entier. Mais on a beau savoir cela, on a beau le sentir au fond de nous et vouloir que ce jour advienne, chaque jour le chaos vient imprimer sa marque, faisant reculer plus loin, toujours plus loin, le jour béni où, sortis de l’enchaînement des causes et des effets, des actions et des réactions, des crimes et de leur punition, nous pourrons enfin, sans crainte, devenir et jouir de nous-même.

Puisse ce jour advenir, ne pas demeurer un horizon inaccessible dont nous sépare un océan de larmes, de pleurs et de peurs ; puissions nous vivre un jour cette illumination des soirs d’été !


Comme cela est indiqué en légende,  l’image d’illustration est une création hybride l’IA de Samsung ayant amélioré et  mis en couleur un croquis fait au stylet sur mon écran de téléphone portable  elle représente Sisyphe, un Sisyphe qui, au lieu de remonter indéfiniment un rocher, ramènerait sans cesse un dé vers le sommet de la montagne.

En illustration sonore, derrière ma lecture, Ma plus belle histoire d’amour, de Barbara., pour ce magnifique « Du plus loin qu’il m’en souvienne ».


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