Le test du marshmallow (ou du saccageur de monde)

Marshmallows

Nous parlions l’autre jour du test du marshmallow, test auquel je suis sûr que j’étais très bon quand j’étais jeune – je veux dire quand j’étais jeune, encore plus bête et plus discipliné. Et je regrette d’avoir dû largement dépasser l’âge canonique (40 ans, dit Wikipedia) pour me rendre compte de la stupidité de ce test, des présupposés et des préjugés qu’il véhicule.

Le test du marshmallow est celui dans lequel on met un enfant face à l’alternative suivante : il peut soit manger immédiatement un marshmallow soit attendre dix minutes et en avoir trois. Sont considérés comme réussissant le test celles et ceux qui, sachant faire preuve de retenue et de maîtrise de leurs désirs, sacrifient la jouissance immédiate à l’espérance d’un gain futur, ce qui est à la fois très sexuel et très capitaliste.

Mais outre le fait que d’excellentes raisons (un : « tiens » vaut mieux que deux : « tu l’auras », par exemple) peuvent parfaitement justifier qu’on préfère le marshmallow posé sur la table aux trois qu’on nous promet, quel est, mis à part un pur appât du gain dont le bien-fondé est très discutable ; quel est l’intérêt d’avoir trois marshmallows quand un suffit à notre gourmandise ? S’il s’agissait de faire des provisions pour l’hiver et les cigales ayant fini de chanter, cela pourrait se comprendre ; mais les marshmallows, cela ne se met ni dans les poches (trop collant) ni dans les greniers (trop périssable) ; cela se mange immédiatement, et donc trois plutôt qu’un, et les caries qui vont avec, ça n’est pas très intéressant (et ça n’est certainement pas trois fois plus de plaisir)

Ce qui peut pousser à préférer trois, c’est que, toutes choses égales par ailleurs, avoir trois ne coûte rien (sauf une petite frustration), et permet d’échanger, de gâcher, ou tout simplement d’accroître le champ des possibles puisqu’on peut tout bonnement, même en en ayant reçu trois, choisir de n’en manger qu’un. D’une façon ou d’une autre, trois au lieu d’un, c’est toujours une détention, un accroissement ou une prise de pouvoir sur les autres et les choses, le signe et la matérialisation d’une ambition, d’une volonté de puissance. Et c’est justement cette volonté de puissance, ce désir d’avoir plus et de prendre tout ce qui est à notre portée même quand on en a aucun besoin, parce que tout ce qui est possible est bon à prendre, c’est ce tempérament de prédateur, cette avidité destructrice parce qu’incapable de s’autoréguler, que le test du marshmallow valorise : plus plus plus et toujours plus ; pourquoi se contenter du nécessaire quand on peut avoir le superflu ?

Il y a sûrement, dans les circonvolutions archaïques de notre inconscient, des souvenirs de famines et de luttes pour la survie qui nous font ataviquement préférer le trop au suffisant. Mais il est étrange que, de ce réflexe de survie, nous continuions à faire une règle de conduite  alors même que nous sommes conscients du cortège de saccages et de destructions qui accompagne sa mise en œuvre.


En accompagnement musical, parce que le thème de la chanson sied bien à mon propos, la complainte du progrès, de et par Boris Vian.


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