
Que faire se succéder des mots à la queue leu leu, en recherchant à chaque fois le mot (plus précisément le token) le plus statistiquement susceptible de suivre les mots précédents, soit la meilleure façon de générer un texte ayant les apparences (et souvent plus que les apparences) de la compréhension, de l’intelligence, dans les diverses acceptions de ce terme, voilà qui est à la fois stupéfiant, dérangeant et, d’une certaine façon, révolutionnaire.
On a, pendant des années, cherché à créer des intelligences artificielles à coups d’instructions, de règles, d’algorithmes, censés insuffler une sorte de réflexion, un mode d’emploi du raisonnement, quéque chose ressemblant à de l’instruction. Et ce fut un échec, les machines et programmes ainsi éduqués échouant à affronter l’inédit et l’inconnu, le thème ou la question jamais jusqu’alors abordée.
Avec les grands modèles de language (LLM), on a changé radicalement de méthode : on ne donne plus explicitement de règles et des méthodes à suivre ; on nourrit le modèle de quantités phénoménales de textes et d’images soigneusement identifiées, commentées, connotées, et on le laisse établir tout seul des règles, des correspondances, des liens sémantiques entre ces éléments disparates. Et c’est à partir de ce corpus construit sur le tas que le modèle, le LLM, comme un autodidacte, élabore sa propre simulation du monde et des choses, et qu’il devient capable d’inventer des réponses à des problèmes et des questions inédites – inventer comme nous parlons d’invention pour nous-mêmes, notre inventivité serait-elle fondée (et elle l’est) sur la réutilisation permanente de ce qui est ou a été, de ce qui a déjà été créé par d’autres.
L’intelligence des choses (au sens premier de l’intelligence), la capacité à saisir les choses, à en comprendre l’organisation et parfois le sens ; l’intelligence des choses est structurée comme un langage, et elle est même tellement structurée comme un langage, comme on peut le constater avec stupeur quand on observe les LLM ; l’intelligence des choses est tellement structurée comme un langage qu’on peut même se demander si elle n’est pas un effet de langage, je veux dire quelque chose qui serait produit, qui ne serait produit que par le langage : une sorte d’illusion d’ordre du monde que la structuration interne du langage construirait et qui recouvrirait un monde en réalité informe : ce serait le langage qui projéterait du sens et de l’ordre sur quelque chose qui en serait intrinsèquement dénué.
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