La douceur

 

 

Apprenant la mort d’Anne Dufourmantelle, je songeais ce matin à la douceur, dont elle avait parlé, faisant le lien avec un échange que j’avais eu hier avec Katia. Tel est l’objet de cette improvisation.

La douceur est une pression douce ou une résistance douce à la pression. Dans un cas dans l’autre, il s’agit de ne pas brusquer, de ne pas briser, mais au contraire de faire effort pour maintenir intègre, entier, réuni, consentant, ce qu’il serait probablement plus facile de casser ou de dissocier.

Agir avec douceur est souvent un sacrifice car cela ne permet pas d’obtenir le bénéfice psychologique immédiat qu’offrent la colère, la fuite, la violence ou la simplification réductrice : on ne se débarrasse pas, avec la douceur, de ce dont on se serait débarrassé en envoyant bouler tout cela, en coupant les ponts, en tranchant dans le vif, en s’en lavant les mains. La douceur consiste justement à ne pas céder à la tentation du “Qu’on en finisse !”  et aux chants langoureux des sirènes du renoncement. Elle est un effort sur soi-même.

Ne pas briser là, ne pas aller plus vite que la musique, accompagner avec respect et empathie sans chercher le résultat immédiat, en acceptant de s’encombrer de tout ce qu’il aurait été plus facile de rejeter en se fâchant ou en soumettant le monde à l’injonction du : “C’est soit ceci, soit cela”… La douceur est le refus du simplisme et du réconfort qu’il offre, de la bonne conscience satisfaite à laquelle il peut parfois conduire.

La colère et la simplification permettent de marcher plus librement, avec  plus de légèreté. On a rejeté dans le néant ou dans l’altérité absolue cette moitié du monde qui n’était pas ce que nous voulions qu’elle soit, et on se sent, du coup moins contraint, moins empêtré, moins englué : le monde et la réalité sont devenus plus faciles à saisir et à comprendre : c’est tellement plus simple d’avancer, de penser, d’avoir des certitudes, quand on est seul !

Mais ce faisant, on s’est évidemment coupé du vrai monde, qui est épais et complexe. Et en rompant, en cassant, en exigeant que ce soit ceci ou cela, on a manqué de cette générosité qui pousse à vouloir tout intégrer de ce qui est  et à reconnaître que c’est à la fois ceci et cela.

On a manqué à la vérité, que la douceur défend.


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11 Comments

  1. Merci Aldor pour cet article qui éclaire quelque chose qu’on dit souvent à mon propos: on parle de ma “douceur”. Je n’ai jamais trop su comment prendre cette remarque récurrente, mais ce que tu dis lui donne une coloration positive, merci! Je retrouve dans tes mots une mise en lumière de mon rapport au monde (je ne m’en glorifie pas, cf la suite du commentaire!).
    Parfois aussi, cette douceur (que je n’ai pas vraiment choisie, qui fait simplement partie de moi) empêche justement de trancher ce qui doit l’être. Composer toujours avec le monde n’est pas une bonne chose dans tous les cas. Ainsi, la douceur se fait occasionnellement prison…

    • 23 juillet 2017
      Reply

      Oui, Clémentine. C’est çà : la douceur empêche de trancher et peut parfois emprisonner…

      Et pourtant, y repensant, cette prison est aussi une libération : de n’avoir pas cédé, d’avoir donné, d’avoir su ne pas casser, on se sent mieux. C’est comme une caresse : on retire du plaisir du plaisir donné.

      • Oui… c’est vrai aussi! J’ai du bonheur à sentir la qualité des relations que je nourris de cette douceur (pour laquelle d’ailleurs je n’ai aucun mérite, je suis comme cela, ce n’est pas un effort que je fournis). Je sens, notamment, que les élèves apprécient cette douceur et la respecte.
        Par contre, trancher me coûte, c’est même une douleur. J’apprends un peu, avec les années, mais ce n’est pas simple.

  2. 23 juillet 2017
    Reply

    Il faut beaucoup d’efforts pour ne pas succomber à la colère.C’est trop facile aussi de ne réagir que par la douceur; L’instinct de préservation fait monter l’adrénaline et nous invite au mouvement, à la séparation avant de retrouver sa raison; Mais le plus souvent la tentation de la séparation est suivie de regrets.
    Bonne soirée à vous..

  3. 24 juillet 2017
    Reply

    je ne connaissais pas cette femme et j’avoue avoir été plus intéressée par ses propos (grâce au lien-vidéo que tu donnes) que par les tiens (oups, je ne suis pas dans la douceur, là…mais je suis dans la vérité de mon ressenti, même en ayant écouté deux fois ton récit)…………à l’écouter, elle, j’ai l’impression qu’elle est morte par/pour (ses) convictions…..elle parle de douceur qui peut aller jusqu’au sacrifice de soi (à la quatrième minute de la vidéo) et elle a effectivement risquer sa vie pour en sauver d’autres….
    cependant, est-ce admirable pour autant, difficile de ‘trancher’…….
    son témoignage à travers ses mots et son acte ultime me parle, comme me parle ton texte et le début de ton enregistrement mais je ne comprends pas vraiment l’histoire du géomètre et de l’explorateur dans ce contexte de ‘douceur’ et de ‘vérité’………

    • 24 juillet 2017
      Reply

      Ah ! Tu as absolument raison, Maly !

      Et tu as parfaitement ressenti la glissade de mon propos qui, parlant de douceur, dérapait dans autre chose.

      Anne Dufourmantelle, il ne me semble pas qu’on puisse dire qu’elle s’est sacrifiée. Mais elle n’a pas regardé à elle-même pour aller sauver des gens. La est son humilité.

      Mais c’est sa douceur qui, comme toi, m’avait touché.

  4. 24 juillet 2017
    Reply

    Intéressante réflexion qui nous amène ailleurs… Par contre, pour avoir souvent vécu de la colère, je dirais que, si elle rend temporairement léger, elle redevient vite très lourde puisqu’on la porte seul (contrairement à la douceur, qui demande peut-être un effort, mais qui est partagée). Belle journée!

    • 24 juillet 2017
      Reply

      C’est tout à fait vrai, Annick. Je ne suis pas sûr que la douceur nous allège immédiatement mais bien certain que, très vite, la colère nous pèse et nous ronge.

  5. 26 juillet 2017
    Reply

    Une réflexion que j’ai suivi avec intérêt comme d’habitude. Je n’avais jamais vu la douceur comme un effort, une volonté. D’instinct j’aurais dit que la douceur est facile, mais en suivant ton raisonnement je comprends que ce n’est pas toujours le cas, au contraire. La douceur est nuances, comme tant d’autres choses dans cette vie… Je ne sais pourquoi, mais cette idée m’apaise.

    “faire effort pour maintenir intègre, entier, réuni, consentant, ce qu’il serait probablement plus facile de casser ou de dissocier”
    Si tu me le permets, je souhaiterais utiliser cette citation pour mon blog 🙂
    Je trouve que ça pourrait être une très bonne définition générale de ma vie ces derniers mois !

    • 26 juillet 2017
      Reply

      Tu as raison : cette idée d’effort est, bizarrement, apaisante.

      Et ta proposition, Cléa, m’honore. Je te donne bien volontiers ma permission.

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