La cathédrale de Chartres possède une relique appelée « voile de la Vierge« , censée être un morceau du voile porté par Marie.
Nul ne saurait évidemment dire si cela est vrai ; ce qui est sûr, en revanche, c’est que ce grand morceau de soie fut donné par l’impératrice Irène à Charlemagne et que c’est le petit-fils de Charlemagne, Charles le Chauve, qui en fit don à la cathédrale de Chartres en 876. C’est donc une pièce en tout état de cause vénérable, dont les analyses ont par ailleurs montré qu’il était fait de fils de soie tissés au Proche-Orient aux alentours du Ier siècle.
Pourquoi aimons-nous les reliques ? Pourquoi, au-delà même des cultes et des religions, aimons-nous garder, toucher, voir, sentir des objets et des images de ceux que nous aimons et avons aimé ?
Quand on y pense, cet attachement est mystérieux : qu’attendons-nous de ces objets ? Pourquoi aimons-nous – non seulement les hommes et femmes du Moyen-Âge mais nous tous, enfants de la rationalité et des technologies – pourquoi éprouvons-nous ce désir et cette rassurance d’avoir à nos côtés, de pouvoir toucher et sentir, regarder et garder trace des êtres que nous aimons ?
Aurions nous, comme Thomas l’incrédule, besoin de voir pour croire ? Nous sentons-nous si faibles dans nos amours, si sensibles au « Loin des yeux, loin du coeur » que nous aurions besoin de ces objets pour régénérer nos sentiments qui, sinon, s’éteindraient faute d’aliment pour les nourrir ? Est-ce parce que nous aurions besoin d’éprouver physiquement les choses pour les ressentir véritablement ? Les souvenirs et les reliques seraient comme des chapelets, des tocs, des doudous, des komboloï, ou comme ces mèches de cheveux que certains d’entre nous aiment à tourner entre leurs doigts, des objets rituels dont l’utilisation nous permettrait de mieux nous ancrer dans un monde que nous voyons passer et changer – un façon de pérenniser quelque chose dans le flux continu du temps.
Je ne crois pas que ce soit idolâtrie. L’idolâtrie, cela consiste à doter un objet d’un pouvoir intrinsèque : cette statue, cette pierre à la forme bizarre, ce morceau d’étoffe, recèlent de la magie et contiennent de la puissance. Mais les reliques et les souvenirs, ces objets qu’on aime parce que l’on aime qui les a touchés, modelés, portés, ne sont pas aimés pour eux-mêmes mais seulement pour l’être à qui ils renvoient. Et au rebours de Thomas, nous ne croyons pas à cet être parce que nous voyons l’objet ; nous voyons cet objet – nous le considérons plutôt comme autre chose qu’un objet – parce que nous croyons en l’être à qui il renvoie et que nous l’aimons. La relique et le souvenir ne sont pas preuves de l’existence de l’être aimé ; ils montrent plutôt la force de l’amour qui, d’un presque rien : morceau de tissu, impression photographique, mots griffonnés sur un papier, fait quelque chose de lourd et de plein.
Nous sommes faibles et ancrés dans la matière ; toutes ces reliques en sont une autre preuve. C’est ainsi. L’orgueil et le mal consisterait plutôt à le nier, à s’y refuser et à prétendre être un pur esprit.
« L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête. »
En accompagnement musical, Historia der Auferstehung Jesu Chriti, de Heinrich Schütz (in « Larmes de résurrection« )
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