Delphine Horvilleur, dans Réflexions sur la question antisémite, dénonce l’obsession de pureté, de retour fantasmé à une identité première, qui traverse de nombreuses idéologies, religions, manifestations sociales :
Être « authentiquement soi » : cette quête d’absolu se trouve déclinée aujourd’hui dans tant de discours publicitaires, politiques ou identitaires. Rhétoriques nationalistes, xénophobes, anticolonialistes, altermondialistes, sionistes ou propalestiniennes…aussi éloignés que soient les projets ou les idéaux des uns et des autres, s’y retrouve fréquemment l’idée qu’il faudrait se débarrasser de tout ce qui dans nos identités nous a contaminé ou perverti, les étrangetés ou les impuretés, les soumissions ou les dominations, et ainsi réparer l’Histoire, en redevenant soi-même ou en l’étant enfin.
Elle est tellement paradoxale, cette quête de pureté et d’identité, venant d’un être dont le mythe d’Epiméthée déjà a dit à quel point il était nu, à quel point il n’était ancré dans aucune catégorie – ni crocs, ni ailes, ni fourrure – et à quel point sa seule identité était de n’en avoir pas. L’homme – et cela vaut pour l’espèce comme pour l’individu – n’est rien, sinon un devenir, sinon sa relation aux autres, sinon les liens qu’il tisse avec ceux qu’il aime qui sont les fils couvrant sa nudité. Nous sommes les autres.
Alors, je sais qu’il faut bien, pour aller vers les autres, partir de quelque part. Il faut un minimum d’identité pour pouvoir accepter l’altérité. Mais je demeure méfiant à l’égard de ceux qui ne rêvent que de karcher, de pureté et d’essence, et dont l’obsession est de revenir à soi, de redevenir soi-même, de ne se laisser emporter ni par son corps, ni par ses émotions, de peur de déroger en quoi que ce soit à l’image idolâtre et orgueilleuse qu’ils ont construite d’eux-mêmes.
Cette obsession de la pureté et ce rejet de ce qui y dérogerait – et c’est évidemment flagrant dans l’antisémitisme – ne tire sa force que de la haine de soi. Car c’est toujours soi qu’on rejette en l’autre.
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Très bel article. Merci, Aldor.
ce qui me vient en t’écoutant, c’est aussi le fait qu’à l’heure actuelle, psychologiquement parlant, cette quête du soi, le soi authentique non perverti par l’éducation et autres, est devenue une priorité absolue, le Graal des temps modernes………
Il y a peut-être un juste milieu à trouver : être soi, ne signifie pas forcément rejeter autrui, mais trouver ce qui, en nous vibre, afin de tisser des relations fondées sur l’authenticité.
On a tous fait l’expérience de choses qui « ne nous conviennent pas » , ne nous « parlent pas » , nous perturbent dans ce que nous avons de plus intime. Et on sait tous qu’au final, c’est toujours un fiasco.
Obliger son fils à devenir médecin ou avocat, ou pâtissier, ça s’est beaucoup fait dans le passé…Ou marier sa fille à quelqu’un qu’on a choisi pour elle…
Alors qu’éduquer, c’est aider l’enfant à rechercher la source de son désir profond, afin d’être en harmonie intérieure. Comment seulement imaginer éradiquer un jour les conflits de l’humanité si on n’est pas déjà en paix avec soi-même ?
Mais évidemment, ne pas tomber dans le nombrilisme narcissique… Ne pas être un » intégriste » du développement personnel…Toute la subtilité du juste milieu…
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Je ne comprends pas pourquoi revenir à soi ce serait ne pas se laisser emporter par son corps ou ses émotions. On pourrait penser que c’est justement cela être soi. Il y aurait des effets de surface conscients, rationnels de l’ordre du commun et quelque chose de plus profond et individuel, le corps.
Je crois comprendre ce que vous dites. Mais il me semble qu’il y a toujours, dans l’idée du retour à soi ou à l’authenticité, l’idée d’une pureté originelle, d’un homme ou femme ideal qui n’aurait pas encore été dégradé par la réalité des choses : la Chute, le péché originel, l’incarnation, le corps, le désir, la faille et le manque.
Car le corps est bien le premier élément qui nous force à revenir sur terre. Nous ne sommes pas de purs esprits…