Il y a, parmi mes connaissances, des gens qu’on voit, sur les réseaux sociaux mais en dehors aussi, dont les combats et les pôles d’intérêt changent avec le temps – ce qui est d’ailleurs normal. Ils ont milité pour la France insoumise, puis pour les Gilets jaunes ; aujourd’hui, c’est l’écologie et la défense de l’environnement qui paraît être leur orientation principale. Ce qui ne change pas, en revanche, c’est leur agressivité, leur colère, leur soif de tension et de hurlement. Si bien qu’au bout du compte, on se demande si, au delà des combats changeants, ça n’est pas cette colère et ce besoin de tension qui constitue leur motivation première. S’ils militent, peut-être est-ce moins pour atteindre les objectifs prétendus de leur lutte que pour ressentir l’émoi de la lutte.
Je me demande si cette illusion, que je distingue si bien chez cet ami, ne nous est pas générale. Est-ce notre objectif qui nous motive, ou la motivation elle-même ?
Baruch Spinoza remarque, dans L’Éthique, que ce ne sont pas les choses belles que nous aimons, mais plutôt que nous trouvons belles les choses que nous aimons. De la même facon, n’avons-nous pas tendance à prêter à l’objet de nos désirs, et peut-être même à l’objet de notre amour, des vertus qui appartiennent en fait à notre démarche, au sentiment amoureux plus qu’à l’objet aimé ? N’est-ce pas la délicieuse sensation d’appartenir complètement au monde, le vertige du sentiment océanique évoqué par Romain Rolland, qui, plus que tout, plus que l’être aimé peut-être même, nous plaît dans l’amour ?
Je suis, en tous les cas, depuis longtemps étonné par cette façon que nous avons de dire “Mon amour” à ceux que nous aimons, comme si c’était l’amour lui-même, et non eux, et non elles, que nous aimions vraiment. N’est-ce pas une partie de la vérité qui, dans cette étrange facon de parler, se dévoile ?
Beaucoup de thèmes dans votre billet. Je suis d’accord avec vous sur la partie des colères sur les réseaux sociaux… Quant à l’amour, il est transcendantal, le fait de l’énoncer nous ramène à l’état que nous devrions ressentir en permanence, cet état “divin”, d’où ces sensations de vertige océanique, et de besoin de le ramener proche de soi.
Nous vivons forcément dans l’illusion car nous sommes des être conditionnés. Nos motivations sont donc erronées très souvent.
La seule lutte que nous avons à maintenir est celle de l’envahissement de l’ego, une lutte permanente qui autorise les ratés et l’indulgence.
Le principal est d’évoluer, d’analyser et de se remettre en question. Beaucoup de militants “s’assagissent” tout en continuant à oeuvrer favorablement, à être simplement le changement qu’ils veulent voir en ce monde. D’autres gardent cette colère en eux toute leur vie, ils sont donc dans une forme de prison. Et c’est bien triste pour eux. La colère est un poison, ce n’est pas un moteur comme ils le croient. La colère empêche l’analyse dans son ensemble. Bonne fin de journée 🙂
Oui, vous avez raison.
J’ai un ami qui est comme tes amis. Il ne laisse pas la colère se manifester dans la vie courante, ce ne serait pas “correct” par contre il se lâche sur les réseaux sociaux avec une agressivité qui me déconcerte … Je le connais bien, et comme pour tes amis, cette colère est latente, ce n’est pas tant le combat qui est important, c’est l’expression de la colère. C’est un phénomène inconscient, enfoui, qui remonte à son enfance, ce qu’il n’accepte pas du tout.
Et que l’on réagisse soit à la beauté, soit à l’amour, soit à la colère, il me semble que la plupart des nos réactions sont inscrites en nous dès le plus jeune âge, suite aux expériences vécues. Nous enfermons nos pires blessures ou nos meilleurs souvenirs qui sont réactivées par des événements insignifiants pour d’autres dans le présent. L’objet de notre amour n’y échappe sans doute pas, mais il y a une dimension supplementaire dans l’amour, peut être quelque chose d’instinctif, d’animal qui nous pousse vers une personne plutôt qu’une autre. Mais ce n’est que mon avis que je partage avec toi.
Amitiés Aldor.
Tu as raison (enfin, je l’espère) : on peit sans doute grossir le trait et ajouter des illusions a l’image des personnes qu’on aime mais il y a une base : tout le monde ne déclenche pas notre soif d’aimer.
Je suis assez d’accord avec vous et j’aime bien votre manière de le dire. Il manque peut-être à ce tableau ceux qui fuient la tension ou le conflit à cause des remous qui s’en suivent et parce que la violence et l’inconnu qui y surgissent leurs font peur. Je n’y vois rien de vraiment idéal, pas plus qu’ailleurs en tout cas, mais cette tension et ces remous rappellent une naissance autant qu’une mort, et pas mal d’artiste y ont trouvé des choses qui nous fascinent encore. Je comprends qu’on puisse y chercher quelque chose, consciemment ou pas, plus ou moins adroitement, comme le fait la vie. Il y la à vrai dire un équilibre délicat à trouver, une recherche pour chacun, individuelle et collective, vers une forme de justice.
Oui, R. : la tension et la colère peuvent permettre de se sentir vivant. Et cest probablement une des raisons pour lesquelles on se met en colère.
Carolle et Serge Vidal-Graf, dans “La colère, cette émotion mal aimée”, écrivent qu'”on” n’a pas des colères mais une seule, qui revient se manifester, chaque fois la même, chaque fois qu’elle le peut, à un feu rouge, à une parole maladroite … Le sous-titre du livre est : “Exprimer sa colère sans violence.” J’approuve !
Merci, Aldor, et douce journée à vous.
C’est vrai, Gilles : une seule colère sous diverses occasions.