Notre corps n’est pas un autre



Le dualisme de Platon, de Paul, d’Augustin, même s’il est officiellement rejeté par l’orthodoxie, imprègne profondément notre façon de voir les choses et explique en partie le rapport difficile, paradoxal parfois, que nous entretenons avec notre corps.

Nous avons du mal à considérer que notre corps, c’est nous ; du mal à accepter que nous sommes notre corps. Nous avons, au fond de nous, l’idée qu’il y a en ce nous deux substances : l’esprit, qui serait vraiment nous, qui serait le vrai nous, et le corps, qui ne le serait pas vraiment parce qu’il ne serait qu’un contenant, un simple, un vulgaire contenant. C’est pourquoi les plus beaux d’entre nous – ce qui n’est certes pas mon cas – et les plus belles encore plus peut-être – se sentent vexées quand on les complimente sur leur beauté, considérant qu’on les réduit ainsi à une viande qu’elles ne sont pas.

 

Or nous sommes notre corps. Nous ne sommes pas seulement notre corps ; nous ne limitons pas à lui mais notre corps est nous, il est une de nos dimensions, et il est presque aussi réducteur de le nier que de nous reduire à lui. Sans ce corps, nous sommes incomplets, appauvris, niés en l’animalité de notre humanité : sans lui, nous ne sommes plus tout à fait nous. Et c’est pourquoi l’amour passe aussi par les corps et ne peut s’en passer.

Ce qui nous gêne, dans cette identification, serait-elle partielle, de notre être à notre corps, est que nous avons le sentiment de ne pas en être maître : nous contrôlons notre regard, notre tenue, nos rides d’expression, notre sourire, notre forme physique même, mais ces éléments mis à part, notre corps paraît nous être imposé par les lois de la génétique, l’âge et l’usure du temps, et cette absence de maîtrise dérange l’idée que nous faisons de nous-mêmes.

Mais pourquoi ? Pourquoi, après tout,  notre être, notre être vrai devrait-il se limiter à ce dont nous avons un plein contrôle ? Pourquoi faudrait-il que je sois seulement ce que j’ai choisi d’être ? Ai-je vraiment choisi d’être un homme plutôt qu’une femme ? d’être Français plutôt que Laotien ? De vivre en ce temps et non il y a cinq siècles ? Le suis-je moins pour autant ? Ne suis-je pourtant pas profondément et intimement cela, bien que je ne l’ai pas choisi ? Et n’est-ce pas au contraire par ces éléments qui me sont imposés que je me définis aussi ? Non pour me différencier du reste de l’humanité (loin de moi une telle idée) mais parce que ce sont ces éléments imposés qui ancrent l’humanité dans le vrai, le charnel, l’historique.

Il en va ainsi pour le corps.  Nous ne le choisissons pas mais il est nôtre, entièrement nôtre. Et l’un des buts de la vie est peut-être d’apprendre à l’assumer. Assumer notre humanité,  assumer ce corps, avec ses faiblesses, ses grandeurs et ses désirs, ce corps qui nous ancre dans le monde et nous apprend l’humilité de n’être pas seulement ce que nous avons choisi d’être.

Aldor Écrit par :

7 Comments

  1. 24 juillet 2019
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    Vous abordez là un thème auquel j’ai souvent réfléchi. Notre corps, avec ses malaises et ses maladies, nous rappelle que nous sommes mortels, faibles, soumis aux contingences … nous aimerions que l’esprit domine et contrôle le corps mais il nous rappelle souvent à l’ordre. Merci Aldor de cet article très clairvoyant !

  2. 24 juillet 2019
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    Intéressante réflexion ! Je n’avais jamais pensé au corps de cette façon .. Mais pour les femmes il y a peut être une dimension sociologique supplémentaire. Les “belles” des magazines, les canons de beauté dictés par la société nous font bien du mal.
    Quoiqu’il en soit, oui il faut aussi aimer ce corps qui nous a été donné pour vivre avec sérénité …
    Bonne journée Aldor.
    Ps : est ce que tu vois mes commentaires ? Tu n’y réponds pas et cela ne te ressemble pas, mais peut être est ce un manque de temps 😊

    • 24 juillet 2019
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      Bonjour, Catherine. Oui, je vois tes commentaires et les apprécie. Et je crains que ce ne soit la paresse plus encore que le manque de temps qui soit en cause dans mon peu de réactions.

      Mais tu fais bien de me rappeler a l’ordre. Et tu as raison.

      Quant au corps, tu mets justement le doigt sur quelque chose qui m’échappe un peu mais dont jairaos dû tenir compte. C’est vrai qu’il y a quand même une pression sociale plus forte sur le corps de la femme que sur celui de l’homme.

      • 25 juillet 2019
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        oui, les hommes échappent encore à cette pression (on leur enjoint juste d’être musclé et d’arborer leur poil selon la mode, mais on est loin du contrôle exercé sur le corps féminin.

        J’aime beaucoup ta réflexion sur le ait d’être (même) ce qu’on ne contrôle pas, d’accepter de ne pas être tout puissant même dans l’intime et le corporel (comme si seulement on l’était avec nos pensées, d’ailleurs !)

        sinon, oui, la distinction corps/esprit a de beau jour devant elle, avec cette tentation nouvelle (enfin, ce nouvel outil pour cette vieille tentation) d’extraire la mémoire pour la conserver numériquement et la conserver éternellement (! : car la conserver, d’accord, mais qui la conservera ? le fournisseur d’accès ? le propriétaire de la carte usb ? ) ce qui m’apparait d’ailleurs comme une curieuse résurgence de la sauvegarde de l’âme chrétienne hors du corps périssable.

  3. 24 juillet 2019
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    Notre corps est la partie de l’iceberg émergée, de ce que nous sommes (la partie immergée étant notre esprit)… Nous le modelons : nous le laissons partir à vau-l’eau ou ne le tenons fermement… Ce corps nous enferme par ses limitations, contraintes physiologiques, selon notre mainmise sur lui… Il est le reflet de notre volonté. Il est difficile alors d’accepter le résultat de notre travail sur nous-même. C’est de cela que nous nous dissocions… Nous renions le résultat obtenu…

  4. 25 juillet 2019
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    Ce n’était pas un rappel à l’ordre, peut être un peu d’inquiétude pour toi … Mais me voici rassurée. Et tu as bien le droit d’être paresseux si tu en as envie 😊

  5. […] nous paraît si nécessaire d’apparaître et de nous exprimer dans notre corporalité. Parce que notre corps n’est pas un autre et que nous sommes des êtres […]

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