Greta Thunberg, notre Antigone


Discussion, en fin d’après-midi, avec Jean-Michel, à propos de Greta Thunberg et du discours aride, sans compromis et sans complaisance, sec, qu’elle a prononcé aujourd’hui aux Nations-unies :

Comment osez-vous ? Vous avez volé mes rêves et mon enfance avec vos paroles creuses. Les gens souffrent, les gens meurent. Des écosystèmes entiers s’effondrent, nous sommes au début d’une extinction de masse et tout ce dont vous pouvez parler, c’est de l’argent et du conte de fée d’une croissance économique éternelle. Comment osez-vous ? Depuis plus de quarante ans, la science est claire comme du cristal. Comment osez-vous regarder ailleurs et venir ici en prétendant que vous en faites assez ? (…) Vous dites que vous nous entendez et que vous comprenez l’urgence mais je ne veux pas le croire. »



Jean-Michel et moi nous disions, à l’écoute de ce discours, théâtral et étonnant, si peu diplomate et si peu policé, que Greta Thunberg était une Antigone, qu’elle était notre Antigone. Et à la vue des images, que je n’avais pas vues et qui, vues, mettent un peu mal à l’aise, ce sentiment est chez moi renforcé.

Antigone, c’est la force extraordinaire de celle qui, animée par une juste cause, décide de la défendre entièrement, jusqu’au bout, de façon absolue et sans rien céder, sans jamais se détourner, sans jamais s’en laisser conter, ce qui la rend irrépressible et capable d’abattre les montagnes.

Qu’aurait été, sans Greta Thunberg, la cause du climat ? Peut-être rien ; il y a trente ans que les scientifiques faisaient leurs rapports, que les COP se succédaient sans que rien, ou pas grand-chose, au bout du compte n’en sortit. Elle a, par son obstination, son culot, son courage, son entièreté, son intransigeance, son incroyable capacité à ne pas dévier, permis que la lutte contre le changement climatique devienne la priorité du monde et elle a su donner à ce combat l’incarnation dont il avait besoin.


Mais Greta Thunberg a aussi – et de façon ô combien évidente pour qui la voit parler cet après-midi à New York ! – les sombres et terribles côtés d’Antigone, qui font que, si elle est indispensable, si son existence est salutaire, il ne semble pourtant pas possible de la suivre jusqu’au bout, d’adhérer totalement sinon à son propos, du moins à sa personne.

Il y a en effet, dans cette intransigeance qui lui donne tant de force, une rigidité, un manque de souplesse, un manque de distance et de détachement, d’humour même, qui effraient. Non pas que ce dont elle parle appelle quelque humour que ce soit mais parce que se degage de son discours, de ce discours probablement sincère mais sans retenue, le sentiment d’une incapacité à regarder un peu les choses de côté, à les considérer d’un autre point de vue que le sien, incapacité qui semble la rendre insensible ou aveugle à l’épaisseur et à la complexité du monde – cette épaisseur et cette complexité que les dirigeants auxquels elle s’adresse ont mission de gérer.

Aussi importants en effet – et ils le sont ! – que soient le climat et sa dégradation, le monde est là, fait d’hommes et de femmes, auxquels il faut d’abord assurer la vie, la santé, la paix et des moyens de subsistance. Sans eux, rien ne se fera. C’est cela qu’avec tous ses défauts, gère, dans l’immédiat et au jour le jour, le politique.


Tenir compte de ces nécessités, c’est – Bien sûr ! – prendre le risque de renoncer à tout changement au nom d’un réalisme qui ne serait que le faux nez de l’immobilisme ou du Business as usual ; mais faire comme si ces nécessités n’existaient pas, c’est nier la réalité du monde.


Interrogée par Créon, Antigone clame à juste titre qu’elle n’a pas, quant à elle, à se soucier de l’état du monde, des rapports de force ou du politique, car là n’est pas son rôle, car là n’est pas sa fonction. Ainsi en va-t-il de Greta Thunberg : les positions qu’elle prône, les demandes qu’elle adresse aux dirigeants du monde sont outrées et irréalistes. Mais s’arrêter à cela est lui faire un mauvais procès : son rôle, sa fonction dans le siècle n’est pas de gouverner ; il est d’orienter, d’être la conscience et éventuellement le remord de ceux qui gouvernent. Elle est notre Antigone, qui veille à ce que nos Créon n’oublient pas le chemin. 

 

 

Aldor Écrit par :

15 Comments

  1. 24 septembre 2019
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    Ils viennent les greta et les paul, ainsi que les michelle, et les autres, ils viennent. 🙂

  2. 24 septembre 2019
    Reply

    Quand on est très jeune on a des idées d’absolu très abruptes mais, une fois adulte, on apprend les compromis et on s’arrange avec la réalité.

  3. 24 septembre 2019
    Reply

    Outrée et irréaliste ? Sans doute à la mesure de l’outrance et de l’irréalisme des « grands de ce monde » qui continuent à ne voir qu’à court terme et à mener l’humanité à sa perte…
    •.¸¸.•`•.¸¸☆

    • 24 septembre 2019
      Reply

      Si c’était le cas, ce ne serait sans doute pas une bonne raison.

      (Mais peut-être était-ce autre chose que tu voulais dire ?)

  4. 24 septembre 2019
    Reply

    Bien sûr, puisqu’elle ose s’exprimer, son discours est sujet au commentaire et à la critique ; mais à l’autre bout de la chaine des mots considérer que les politiques font vraiment de leur mieux pour le bien commun me parait assez naïf.
    et puis dans un genre mineur, la culture, Malraux (bien loin d’être une frêle enfant) n’a -t-il pas défendu des positions d’une intransigeance et d’un manque de réalisme absolu – qui nous ont valu, pour quelques décennies au moins et peut-être seulement en France, et sans doute imparfaitement, les moyens d’une vie culturelle riche et partagée ?
    Ce qu’il en sortira, je n’en sais rien ; peut-être. Mais c’est déjà miracle qu’on l’entende dire une fois.

    • 24 septembre 2019
      Reply

      C’était (aussi) le sens de mon propos.

  5. 25 septembre 2019
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    courage, désespoir, illusion, folie……une don Quichotte…..et un don qui choque à coup sûr

  6. 26 septembre 2019
    Reply

    Ce que je voulais dire, c’est que je ne trouve pas les propos de Greta outrés ni irréalistes. Ce sont les promesses des politiques qui méritent cette qualification.
    •.¸¸.•`•.¸¸☆

    • 26 septembre 2019
      Reply

      Ah ? Mon appréciation est un peu différente, Célestine. Je ne pense pas que les politiques soient seulement guidés par le souci de l’argent et du profit, ni qu’ils prétendent tous en faire assez. Je ne crois pas qu’il soit juste de faire et de parler comme s’il y avait des décisions simples à prendre qui s’imposaient.

      Cela ne signifie pas que les politiques soient pour moi des saints et qu’ils soient sans reproche. Évidemment non.

      Et cela ne signifie évidemmentpas non plus que je considère ce sue que dit Greta Thunberg comme inutile ou néfaste. C’est exactement le contraire que je disais.

  7. 30 septembre 2019
    Reply

    On est d’accord alors …
    •.¸¸.•`•.¸¸☆

    • 30 septembre 2019
      Reply

      …Essentiellement, oui, certainement. Mais peut-être pas dans tous les détails.
      😊

  8. Badlell
    1 octobre 2019
    Reply

    Intéressant, votre Mise en perspective d’Antigone et de Créon et votre commentaire de notre petite Jeanne d’Arc du climat : Elle est effectivement nécessaire mais dangereuse si on l’interprète et la suit au pied de sa lettre vengeresse…
    Si je comprends bien vos improvisations, vous vous faites le libre commentateur de l’actualité qui se présente à vos yeux et vous éprouvez le besoin de faire partager vos réflexions et vos émotions. C’est une attitude assez désinhibée et anticonformiste que je ne peux que saluer. Vous devriez proposer à Mademoiselle Quint qui tient souvent le journal d’Arte de remplacer, au pied levé, quand c’est nécessaire, Claude Askolovitch?
    Sinon Aldor contient une référence positivement inversée à Maldoror ou pas?

  9. […] Nous découvrons que nous aimons le monde, que nous ne pouvons vivre sans lui, que nous formons avec lui un seul être, et pourtant nous n’allons pas jusqu’au bout de notre amour. Comme Riccardo-Paul, qui refuse de reconnaître sa pusillanimité et qui va toujours demandant à Emilia-Camille pourquoi elle le méprise, lui qui pourtant au fond de lui le sait, nous ressassons le passé, feignons de ne pas connaître les causes du désastre qui s’annonce et continuons sur notre lancée, dans un endormissement tranquille et mortifère dont ne peuvent nous sortir que les cris de nos modernes Antigone. […]

  10. […] Nous découvrons que nous aimons le monde, que nous ne pouvons vivre sans lui, que nous formons avec lui un seul être, et pourtant nous n’allons pas jusqu’au bout de notre amour. Comme Riccardo-Paul, qui refuse de reconnaître sa pusillanimité et qui va toujours demandant à Emilia-Camille pourquoi elle le méprise, lui qui pourtant au fond de lui le sait, nous ressassons le passé, feignons de ne pas connaître les causes du désastre qui s’annonce et continuons sur notre lancée, dans un endormissement tranquille et mortifère dont ne peuvent nous sortir que les cris de nos modernes Antigone. […]

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