Domination, pouvoir et syndrome de Stockholm


De nombreuses enquêtes indiquent que, très tôt, les enfants, petits garçons et petites filles, intègrent des représentations genrées, sexuées, de la distribution des rôles dans la société : c’est aux hommes que les petites filles et les petits garçons attribuent généralement les attitudes de domination et de pouvoir, la faiblesse et la soumission étant plutôt vues comme féminines. Ces mêmes enquêtes montrent que ces représentations influent assez largement dans la vision que les enfants ont de leur avenir puisque les filles s’orientent plus volontiers vers les métiers de la coopération, du soin, de l’instruction, et les garçons vers ceux où l’on exerce du pouvoir.

Et ordinairement, les commentaires regrettent cet état de choses, y voyant une preuve supplémentaire de domination masculine dans une société patriarcale.

Cela ne me paraît pas si évident.

D’abord parce qu’on pourrait concevoir, sans faire nulle injure à l’égalité des sexes, que les femmes et les hommes, les petits garçons et les petites filles, n’aient pas les mêmes goûts, les mêmes inclinations, les mêmes désirs. On pourrait concevoir qu’en dehors de toute éducation et de toute pression sociale, ils jettent un regard différent sur les choses.

Ensuite et surtout, parce qu’on pourrait considérer que l’amour du pouvoir et de la domination, et le dédain, qui va avec, vis-à-vis de la bonté, de la coopération, de l’aide, sont le reflet d’une conception non pas universelle mais étroitement masculine et machiste du monde, qu’il n’y a aucune raison, au fond, que les femmes la partagent, et que le fait qu’elles le partagent est plus à regretter qu’à saluer.

On pourrait même, allant plus loin, considérer que cette fascination du pouvoir, quand elle ne se réduit pas à l’adoration babouine et sexuellement connotée décrite par Albert Cohen, est la manifestation d’une sorte de syndrome de Stockholm qui verrait la douceur, la tendresse et la bonté se renier elles-mêmes pour adorer les valeurs machistes de la domination et du pouvoir. Car enfin ! pourquoi diable serait-il mieux, au fond, de préférer être cheffe d’entreprise ou pilote de ligne qu’infirmier ou institutrice ?

La vraie victoire du machisme serait ainsi non pas que les petites filles et les petits garçons se moulent dans les stéréotypes sociaux mais plutôt qu’ils adoptent massivement le culte de la force et cette triste vision du monde au gré de laquelle il est plus méritoire de donner des ordres à son semblable que de l’aider.

Et sans doute faudra-t-il revenir aussi sur cela pour résoudre la crise écologique.


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7 Comments

  1. 16 janvier 2020
    Reply

    Tout à fait d’accord.
    Il s’agirait de passer à d’autres valeurs, partage, solidarité, humilité par rapport au cosmos et à la nature…Mais décoller la pulpe qui attache depuis des millénaires, quelle mince affaire… 🙁
    Pourtant j’ai espoir.
    •.¸¸.•`•.¸¸☆

  2. 17 janvier 2020
    Reply

    Mais une femme peut rêver de faire un métier « d’homme » sans pour autant avoir envie de céder à la domination et au pouvoir, en y ramenant justement des valeurs humanistes. Chacun devrait avoir le choix de son métier. Bon je sais que ce n’était pas tout à fait ton propos 😊

    • 17 janvier 2020
      Reply

      Bonjour Catherine, oui bien sûr. Ce n’est pas le métier que je critiquais mais la fascination du pouvoir pour le pouvoir.

      Le pouvoir est nécessaire. Il faut des gens pour l’assumer. Mais pour l’assumer humblement, comme une charge.

      • 17 janvier 2020
        Reply

        Oui je l’ai compris Aldor. Mais je ne peux m’empêcher d’être un peu féministe (un peu) sur ces sujets.

        • 17 janvier 2020
          Reply

          Mais tu as tout a fait raison. Et quand une situation a été tres longtemps injuste en penchant d’un côté, il est absolument normal quon force un peu la dose de lautee et il n’y a pas à s’en plaindre. Il y a seulement à ne pas oublier, pour demain, où est le bon équilibre.

  3. 25 janvier 2020
    Reply

    Salut Aldor! Je veux te saluer et te remercier pour ta compagnie et tes commentaires ces dernières années. J’ai mis mon blogue en monde privé, afin de réfléchir loin du public et plus à mon aise. Bonne suite donc, et merci encore pour tout!

  4. […] Mais qu’il serait triste de ne voir en l’abnégation, l’humilité et la tendresse qu’une ambition bridée, une fierté écrasée, des vertus honorées faute de mieux, quand elles sont la vraie puissance et la vraie dignité. […]

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