Incorruptible et incorrompu


J’ai longtemps préféré les personnes corruptibles et incorrompues aux personnes incorruptibles, considérant que celles-ci, Robespierre le premier, manquaient d’une certaine sensibilité, d’une certaine ouverture, étaient les monstres froids et tristement impassibles que le Danton de Wajda avait si cruellement présentées : leur incorruptibilité me paraissait être le signe d’un manque, d’un défaut, d’une incapacité.



Avec le temps, mon regard change. Je me demande si cette incorruptibilité,  plutôt que le signe d’un manque, d’une rigidité névrotique de l’esprit, n’est pas plutôt une aura, une émanation de la personne, qui découragerait quiconque de lui faire des propositions malhonnêtes. Non pas une incapacité mais un habit de pureté la protégeant du monde.

Un lien s’est fait dans mon esprit avec la notion de chasteté. Non pas de pruderie, de continence ou d’abstinence ; non pas du tout non plus de pudeur ou de décence ; mais de chasteté, cette sorte d’attitude de l’âme,  de façon d’être, que François attribue à l’eau dans son Ode à frère soleil. La chasteté qui n’est ni un refus, ni une décence vestimentaire, ni une invitation à garder les yeux baissés mais bien plutôt une sorte de vertu intrinsèque, d’innocence première, qui fait de qui la porte, sinon un intouchable, du moins un intouché.

Dans son film (au demeurant extraordinaire) Andrei Wajda pousse très loin l’analyse sexuelle de l’incorruptibilité de Maximilien Robespierre dans le sens d’une assimilation de cette incorruptibilité à l’abstinence, à une panique devant les plaisirs de la chair et de la table qu’incarne au contraire Danton, débordant de vitalite et d’avidité.

Je me demande si c’était vraiment cela, si un être froid et reclus aurait su entraîner des foules derrière lui. Je me demande si son incorruptibilité n’était pas plutôt, comme la chasteté vraie, quelque chose de solaire et de rayonnant, une assurance sereine qui n’est pas une incapacité psychologique à être corrompu mais plutôt une capacité à ne pas l’être, comme les plumes d’un canard ne sont pas mouillées par l’eau qui sur elles glisse sans laisser de traces.

Peut-être est-ce cela, l’incorruptibilité : non pas une incapacité à être corrompu faite d’insensibilité mais, comme la chasteté, une capacité rayonnante à traverser les choses sans être sali par les pensées des autres.


L’image représente le buste en terre cuite de Maximilien Robespierre, réalisé par Claude-André Deseine.

Aldor Écrit par :