C’est tout de même étrange de considérer que la salissure, la tache par excellence, soit qu’un homme et une femme fassent l’amour. Et que tous les petits êtres nés de cet amour soient irrémédiablement tachés et salis, maculés.
C’est tout de même triste qu’au milieu du fracas des armes et des guerres, du scandale de l’esclavage et des famines, on ait désigné l’union des corps comme le crime suprême, celui de l’opprobre duquel jamais les hommes et les femmes ne réchapperaient dans les siècles des siècles.
A la réflexion, toutefois, et après un long détour, peut-être y a-t-il là quelque chose de vrai et de profond.
Le dogme de l’immaculée conception, proclamé en 1853 par le Pape et fêté le 8 décembre, déclare que Marie, mère de Jésus, a été conçue “sans tache originelle”, c’est-à-dire sans trace de ce péché originel qui, depuis la Chute, souille la nature humaine.
Le péché originel, qui est la désobéissance primitive d’Adam et Eve aux consignes divines, leur désobéissance à l’interdiction de toucher à l’arbre de la connaissance, n’a, en toute rigueur, aucun rapport avec l’acte amoureux. C’est Augustin, l’Augustin d’autant plus prude qu’il est revenu de ses débauches de jeunesse, qui donne teneur à cette interprétation restrictive en expliquant que le péché originel se transmet de génération en génération par l’acte sexuel, comme une maladie vénérienne.
Dans l’esprit d’Augustin, toutefois, le péché qui se transmet ainsi comme une tare héréditaire n’est pas spécialement lié à la sexualité. Mais l’évêque d’Hippone a, dans le même temps, une telle peur, une telle terreur du corps et de ses désirs, considérés comme incontrôlables, comme les maillons faibles de l’être, qui font trébucher l’âme, que, chez ses lecteurs comme chez lui peut-être, les deux notions finissent par se confondre, pour donner cette image d’Epinal au gré de laquelle le fruit défendu serait le péché de chair.
De là ce très étrange dogme de l’immaculée conception qui, à la virginité de Marie, ajoute celle de sa mère Anne, éloignant le Christ de toute souillure, mais aussi de l’humanité.
Nous autres, créatures, en effet, naissons de maculées conceptions. C’est de l’union des corps, portée par le désir (puisse-t-il être fruit de l’amour !) que nous accédons au monde et à la vie. Et ce même désir, ce même amour est la source vive de l’élan qui nous porte vers l’autre, nous faisant abdiquer de notre orgueil et de notre égoïsme.
C’est cet élan amoureux, qui tout à la fois porte vers l’autre tout en posant l’unité fondamentale de l’âme et du corps, qui plus que tout effraie les idéologues du dualisme, Manichéens et Cathares de tout poil, qui demandent toujours qu’on choisisse entre chair et esprit, entre la terre et le ciel, ce monde et l’au-delà, oubliant que le destin et la grandeur de l’homme et de la femme est justement de réunir l’un et l’autre, de tenir les deux bouts.
Et en cela, oui : aimer d’amour, aimer corps et âme est peut-être le plus grand acte d’insoumission qui soit, et le signe le plus flagrant, le plus héréditaire, de notre humanité. Une tache, une macula, que nous arborons.
L’image illustrant ce papier est un détail d’un tableau de Georgia O’Keefe qu’on pouvait voir jusqu’il y a peu au Centre Georges Pompidou. Œuvre extraordinairement charnelle, organique, comme beaucoup des premiers tableaux de l’artiste.
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