Il y a, dans toute la thématique qui tourne autour de la sobriété, du retour aux productions locales, du rejet de la société de consommation, du primat de la qualité sur la quantité, etc., une évidente coloration conservatrice et, plus précisément, pour nous Français, contre-révolutionnaire et pétainiste. La sobriété, ça a un petit air de retour aux valeurs ancestrales ; d’éloge du local, de l’artisanal, du paysan ; de dénonciation des vanités urbaines et de l’esprit de jouissance ; d’exaltation du travail et de la terre qui, elle, ne ment pas ; tous ces slogans qui furent ceux de l’État français (même s’ils avaient été conçus par Emmanuel Berl, esprit bien moins conservateur que profondément sensible à l’air du temps).
L’écho est évident et c’est une des raisons qui expliquent la réserve qu’éprouve à l’égard de cette thématique une partie de la gauche : voilà plus de deux siècles que celle-ci s’est construite sur l’internationalisme et sur l’espérance d’un progrès et d’un enrichissement continus, espérance sur laquelle se fondait, face au pessimisme de droite, son optimisme radical. Sauf dans les pays totalitaires, la gauche n’a jamais épousé la doctrine d’une libération de l’homme par l’industrialisation et la vitesse (doctrine à laquelle le fascisme adhéra) mais elle y fut sensible, rejetant au contraire tout ce qui pouvait ressembler à une apologie du national et des structures traditionnelles.
L’appel à la sobriété, plus largement la célébration des comportements économes et modestes, des vraies valeurs, des légumes et fruits de saison, du local, fait rejouer cette cassure. On soupçonne un pétainisme mou derrière tous les appels à la modération et les critiques de la croissance, ces thématiques pâtissant de cette assimilation injurieuse. L’assimilation se fait assez naturellement ; c’est est ainsi et on aurait tort, je crois de le nier. Il faut au contraire reconnaître la présence de ce mauvais parfum de rutabaga, de lâcheté, de délation, de xénophobie et d’antisémitisme, et l’ayant reconnue, faire et dire la part des choses, dissocier les deux, cette connotation, évidemment et justement négative, ne devant pas conduire à jeter l’opprobre sur la thèse en son entier.
L’Etat français fut un régime détestable et criminel à de très nombreux égards et c’est à très juste titre qu’il est condamné. Mais il ne se confond pas plus et n’est pas plus propriétaire de la sobriété et du local que l’extrême droite ne l’est de la figure de Jeanne d’Arc. Il nous faut apprendre à dissocier les deux. Mais pour vraiment les dissocier, il faut d’abord reconnaître leurs liens.
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Vous n’avez pas le monopole du rutabaga, M. Petain. Et ce n’est pas l’Alouette de J. Anouilh (résistant) qui me contredira – Anouilh qui pourtant avait la même moustache que Pétain et que mon grand-père. Bon week end de saison.
Jolie voix (à double titre) 🙂
Merci !