Entre originalité et excentricité, il y a longtemps que j’ai appris à faire la distinction. Mais cette distinction, qui me paraissait si claire, est devenue plus floue avec le temps, ou plutôt plus fractale. Et c’est grâce à #Metoo.
C’était en khâgne, à l’occasion d’un cours de philo de Dominique Folscheid, alors jeune professeur de classe préparatoire. Le cours portait sur la foi et l’athéisme et c’est à son occasion (ou peut-être en avait-il été explicitement question) que m’apparut la différence entre l’originalité, qui consiste à vivre et exprimer ce que l’on est au fond de soi ; et l’excentricité, qui vise essentiellement à se différencier des autres, du commun, de la norme.
Depuis, j’ai toujours préféré l’original, qui montre ce qu’il est, qui est authentique, à l’excentrique, qui ne montre que ce qu’il n’est pas sans forcément se dévoiler.
Avec le temps, toutefois, mon jugement se nuance. D’abord parce qu’il y a chez certains d’entre nous (moi par exemple) une tendance si forte et si prégnante à se différencier des autres qu’elle ne saurait être considérée comme totalement inauthentique ; il y a bien là, au contraire, quelque chose de vrai et de profond, un refus viscéral de suivre le troupeau. Ensuite et surtout parce que, l’âge aidant, je comprends qu’on peut très facilement considérer comme excentriques, faits simplement pour choquer et marquer une différence, des comportements ou habillements qui sont en fait originaux. On les observe, on les regarde avec curiosité, on les commente à haute voix, persuadés que les intéressés veulent se faire remarquer et susciter le scandale ; mais c’est dans notre regard qu’est l’intention scandaleuse : les intéressés, pour leur part, ne veulent et ne demandent qu’à être ce qu’ils sont, à ne pas se cacher ; c’est notre esprit borné, soupçonneux (et égocentrique) qui nous fait penser qu’a été construite pour les autres (et notamment pour nous) une façon d’être qui est l’être de la personne et qui ne nous nullement destinée. Et notre attitude, qui consiste à relever, souligner, mettre en exergue, presque par politesse et respect des efforts entrepris, ce comportement ou cet habillement, s’avère en fait indiscrète, indélicate et foncièrement déplacée. Car ce que nous considérons comme une invite, à tout le moins comme une exhibition appelant des commentaires, ne l’est pas, peut du moins ne pas l’être.
Peut ne pas l’être mais l’est parfois. Car on est ici dans le monde fractal des arabesques et de la nuance ; dans le monde des choses vivantes et vibrantes ; des choses intéressantes où il suffit d’un presque rien, d’un infime mouvement, pour que tout bascule de l’attention aimable à la lourdeur, de la politesse à l’intolérance, de la galanterie au sexisme. Ce sont ces circonvolutions à la fois délicates et massives, où il suffit d’un pas pour sombrer dans le précipice, que les débats et réflexions nés de #Metoo ont permis d’éclairer, si ce n’est de tout à fait cartographier.
Peut-être d’ailleurs cette cartographie est-elle impossible. Peut-être est-on moins dans un monde fractal que dans un monde régi par des lois analogues à celles de la physique quantique, où les choses peuvent être à la fois ceci et cela, ceci ou cela selon le point de vue, l’identité, l’intention ou la pureté de cœur de celui qui observe, agit ou n’agit pas. Car agirais-je d’une façon totalement identique à celle du Prince charmant du conte, je ne suis pas le Prince charmant et le baiser que déposerais sur les lèvres de la Belle dormant au Bois ne saurait avoir la même saveur, le même sens, que celui du prince conté, serait-il à tous égards semblable. On est ici dans le monde infiniment complexe et délicat décrit par les contes de fées, qui est celui de l’attention, de la sensibilité extrêmes à l’intention.
Ah ! Quel bonheur que toutes ces choses que peu à peu, cheminant dans la vie, nous apprenons !
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