Elle veut avoir l’air

Lum, un personnage du manga Urusei Yatsura, photographié dans la collection de Hervé di Rosa, (c) Centre Georges Pompidou

Dans Juste la fin du monde, de Jean-Luc Lagarce, Antoine passe son temps à dire de sa jeune sœur Suzanne qu’elle “veut avoir l’air “, alors que c’est lui qui, toujours et systématiquement, se donne un air, lui “qu’aimerait avoir l’air mais qui a pas l’air du tout”, comme cet autre frère, cette pauvre hère que chante Jacques Brel dans Ces gens-là.

C’est étrange comme, souvent, on veut avoir l’air ; et amusant comme, voulant avoir l’air,  on en accuse souvent les autres, si prompts,  si habiles nous sommes à déceler chez autrui le mal qui nous ronge et dont nous espérons probablement alléger le fardeau en le répartissant sur d’autres épaules que les nôtres.

Avoir l’air. J’ai longtemps passé ma vie à  cela, posant comme ça n’est pas possible, incapable de savoir ce que, au fond, j’étais, doutant même de l’existence, de la consistance d’un tel vrai moi. Je n’en suis pas vraiment sorti. J’ai seulement fini par penser que j’étais peut-être cela, ce flottement continuel, cet éternel Zelig.

L’autre jour, Aaron, qui a peut-être 22 ans, m’expliquait qu’elle ne se sentait pas adulte parce qu’elle n’avait pas tous les codes, toutes les connaissances, toutes les habitudes. Je ne les ai pas non plus ; et je ne suis probablement adulte que d’avoir accepté cela, qu’il n’y a pas, qu’il n’y aura jamais de lieu où je pourrais me dire : “J’y suis ; je suis arrivé”.

On croit parfois qu’avec l’âge vient l’indifférence et le désabusement, ce qu’on appelle poliment la sagesse, une sorte de fatigue, de discipline dirait Katia, des émotions. Mais non ! Comme me le disait Marc, l’autre jour, dans l’ascenseur, au bureau : à chaque printemps on se fait avoir par la jeunesse, le renouveau et la beauté des fleurs ; à chaque printemps on se retrempe, comme un acier, dans l’espérance, et on se réattendrit.

Je m’éloigne, mais pas tant que cela. Ce que je veux dire, c’est que, même s’ils n’ont pas que des qualités, j’aime bien celles et ceux qui veulent avoir l’air, parce qu’ils veulent cela de ne pas être totalement pétrifiés, totalement à l’aise, totalement collés à leur masque, à leur rôle. C’est bien, l’authenticité, mais il faut, pour être authentique, être d’abord ancré, sûr de son être, de sa place, de ses désirs ; et je suis de ceux qu’une telle certitude étonne, et à vrai dire effraie un peu aussi. Qu’on puisse vraiment se définir, se figer en quelque chose d’univoque, de définitif, justement, j’ai du mal à le croire et le croire me fait mal.

J’aime bien Antoine, qui a plein de défauts, de vouloir toujours avoir l’air, parce qu’il n’est sûr de rien, et même pas de cela.

Aldor Écrit par :

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