Parler d’amour

Ce qui, dans le pessimisme, la lassitude, l’inquiétude qu’on pourrait, par instants, ressentir à l’égard de nous-mêmes – je veux dire : à l’égard de nous autres, êtres humains ; ce qui, dans ce pessimisme et cette lassitude pas tout à fait infondées, pourrait cependant nous permettre d’espérer, de ne pas perdre, au moins, totalement espoir en nous-mêmes, ce sont les mots, les phrases, les propos volés aux conversations croisées dans la rue ou aux terrasses, ces confidences qui ne nous étaient pas destinées mais qui, par le hasard du déplacement des sons, finissent aussi dans nos oreilles. Car s’il y a bien une chose, une chose obsessionnelle et universelle dont, tous autant que nous sommes, nous parlons et bavardons sans cesse, où que nous soyons, à toute heure du jour et de la nuit, c’est d’amour : de nos histoires d’amour, de nos espoirs d’amour, de nos malheurs d’amour.

C’est de cela, de cela essentiellement, de cela le plus souvent que parlent celles et ceux qu’on croise et qui bavardent, comme parlent également d’amour les messages qu’envoient et que reçoivent celles et ceux qui, seuls, tapotant sur l’écran de leur téléphone, ne parlent pas mais discutent,  discutent avec qui n’est pas là. Eux aussi parlent d’amour, muettement mais avec passion.

Parlez moi d’amour, clament aussi tous ceux qui, ne disant rien, se pavanent sur les boulevards, les places, les espaces publics, comme toutes celles et ceux qui, hier, avec moi, sur les quais de la Seine, montraient leurs muscles, leurs talents, leur joie, leur tristesse, leur bonne mine, et surtout leur désir, leur désir immense et irrépressible d’être là, d’être là miroitant dans la foule aux mille yeux, d’être là et de se frotter aux regards, à la présence, à la reconnaissance si attendue, si absolument nécessaire de leurs semblables.

Ce qu’on perçoit dans les conversations et les visages, les sourires et les larmes, les yeux levés au ciel et les dénégations, les attitudes et les façons dont les doigts, les mains, les bras, les corps se lient et se délient, ce n’est pas un chemin tranquille ; c’est un paysage semé de pièges, qui requiert, requiert toujours et sans répit, une attention sans faille. Mais quoi qu’on puisse en dire, et malgré les dévastations qui parfois en résultent, c’est cette voie qui nous attire. Ce n’est pas l’assurance que nous voulons, même si c’est elle, parfois, qui nous tente, c’est la confiance, la confiance qui est qui est l’absolu contraire de l’assurance, car placée en l’autre et non pas en nous-mêmes.

C’est pour ne pas comprendre cette distinction que le désir d’amour, ce désir universel, simple et touchant dans sa simplicité, se mue parfois en viol et en domination, en peur et en violence, en haine et en détestation ; l’élan initial de joie se recroqueville en son contraire, en quelque chose de sombre et d’effrayant, de brutal et de sourd.

“Parlez moi d’amour, et j’vous fous mon poing sur la gueule”.


La photo a été prise ce dimanche 9 juin, sous le pont d’Iéna, à Paris.

Aldor Écrit par :

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