“Penser n’est pas agir, et agir n’est pas penser”. En voilà, une découverte ! Tu ne pourrais pas, un jour, philosophe de bazar, faire autre chose que défoncer des portes ouvertes ?
J’aime bien, en fait, les portes ouvertes car elles sont depuis si longtemps ouvertes qu’on a oublié, souvent, ce qu’il y avait derrière ; et on peut parfois, à certaines occasions, comme en ces jours chargés de tension électorale, en redécouvrir, étonné (voire en comprendre soudain), le sens.
Que penser ne soit pas agir, par exemple, tout le monde le sait. Mais on n’en tire pas toujours les conséquences. On croit parfois que l’action et la pensée diffèrent essentiellement par le moment (un moment pour penser, un moment pour agir) ou par les modalités (l’action est action et la pensée pensée). Mais les deux diffèrent aussi par l’objectif, la destination, l’essence, l’accomplissement. La pensée vise à être globale, englobante, complexe, à embrasser l’ensemble des choses dans leurs moindres nuances ; l’action vise à être efficace et à changer le monde. Et donc non seulement l’action n’est pas la pensée mais elle ne peut pas l’être, elle ne doit pas l’être, sinon elle ne serait pas action.
Ce que je veux dire, c’est qu’on peut parfaitement ne pas être totalement en accord, voire avoir des réserves vis-à-vis d’un parti, d’une liste, d’une alliance, et cependant voter pour elle sans réticence, parce qu’agir n’est pas penser, qu’une élection relève de l’action et que s’il fallait attendre, pour voter pour elle, qu’une liste soit strictement conforme à nos désirs, nous ne voterions jamais.
Et inversement : ce n’est évidemment pas parce que je vote ceci ou cela que j’épouse toutes les thèses défendues : dans le jeu électoral, nos votes sont forcément en uniforme (je veux dire : ils se rangent sous des bannières qui sont en nombre très limité), et cela n’a pas grande importance tant que nos idées, nos pensées restent libres et déliées des partis et des disciplines partisanes. Ce qui est grave, ce qui serait grave, c’est que, comme le disait Emmanuel Berl (qui s’y connaissait) dans Marianne, nos idées se mettent en uniforme.
C’est donc joyeusement et sans la moindre hésitation que je voterai, aux élections législatives, pour une alliance, un programme, des femmes et des hommes dans lesquels je ne me reconnais certes pas totalement mais qui sont, aujourd’hui, incontestablement, le plus sûr moyen de faire avancer les choses, à tout le moins de ne pas les faire reculer, ou stagner.
Je voterai joyeusement pour cette alliance, bien persuadé de ce que, agir n’étant pas penser, un mouvement avec lequel je serais en harmonie complète ne peut probablement pas exister, et que ne pas voter pour cette liste au motif que je ne m’y retrouve pas totalement revient à confondre la pensée et l’action, à exiger de l’action qu’elle épouse toutes les nuances de la pensée quand elle en est radicalement, intrinsèquement, fondamentalement incapable.
Or c’est d’agir qu’il est aujourd’hui question.
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