Syneisaktisme

Devant l’église Saint-Vétérin de Gennes

Les voyages forment la jeunesse, la vieillesse aussi probablement ; et ils enrichissent le vocabulaire. C’est ainsi que bouclant un tour à vélo entre Paris, Angers, Orléans et Paris, j’ai découvert, à Fontevraud, entre mille merveilles croisées sur mon joli chemin (Ô splendeur de l’anémone du Japon !), le mot syneisaktisme, qu’on emploie essentiellement, en français, à propos de Robert d’Arbrissel, le fondateur de cette abbaye.

Le syneisaktisme, c’est l’ascèse consistant, pour un homme hétérosexuel (mais c’est aisément transposable aussi bien aux femmes hétérosexuelles qu’aux hommes et femmes homosexuelles), à passer volontairement la nuit avec une ou des femmes désirables en s’abstenant volontairement de toute relation sexuelle. Il s’agit non pas de rechercher la douceur qu’il y a à dormir avec qui l’on aime mais de se mortifier en ne cédant pas à une tentation qu’on a soi-même créée.

Le lendemain de ma visite de Fontevraud, je suis allé au Clos Lucé, à Amboise, où sont exposées nombre des inventions de Léonard de Vinci, qui y a vécu et y est mort. Mais aussi grand (et il l’est !) soit le génie de Léonard, comment pourrait-il rivaliser avec celui, pervers et tordu, de l’inventeur du concept de syneisaktisme, et même avec celui de tous ceux qui, au cours des siècles, ont pu valoriser ce genre de comportement, considérer qu’il y avait quelque espèce de bien à en tirer ? On perçoit, à la lumière de cet exemple, le lien qui a pu être établi entre le malin et la malignité, l’intelligence et le Mal.

Pauvres créatures que nous sommes, tombant si facilement dans les pièges de l’esprit !

Déjà, lors de ma descente vers la Loire, je m’étais un moment arrêté à Illiers-Combray. Et j’avais alors songé à ces paroles du narrateur, qui ne sont pas sans rapport avec ce qui précède, mais qui se contentent, avec vérité et tristesse, de dresser le constat de nos contradictions :

“S’il peut quelquefois suffire pour que nous aimions une femme qu’elle nous regarde avec mépris comme j’avais cru qu’avait fait Mademoiselle Swann et que nous pensions qu’elle ne pourra jamais nous appartenir, quelquefois aussi il peut suffire qu’elle nous regarde avec bonté comme faisait Madame de Guermantes et que nous pensions qu’elle pourra nous appartenir.”

Pour la délicatesse de cette pensée, combien je préfère Marcel Proust à Robert d’Arbrissel !

Aldor Écrit par :

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