C’est un paradoxe dont chacun d’entre nous fait chaque jour l’expérience : le suffisant ne suffit pas, le suffisant est insuffisant. Il est, toujours et irrémédiablement, incapable non seulement de nous combler mais encore nous donner le sentiment de satiété sans lequel demeure l’impression de manque. Pour que cela suffise, pour que cela suffise vraiment, pour que nous soyons pas étreints, écrasés, aliénés par la crainte du trop peu, il faut du débordement, du superflu, du trop-plein, comme dans cette expression qu’on considère parfois comme enfantine mais qui révèle une vérité profonde (et ne dit-on pas que la vérité sort de la bouche des enfants ?), cette expression au gré de laquelle n’est vraiment beau, bon ou mignon que ce qui est trop beau, trop bon ou trop mignon.
Il suffit d’assister à un festival comme celui d’Avignon, à une cérémonie comme celles dont les Jeux olympiques ont été l’occasion, à une grande fête foraine ou tout simplement de passer quelque temps dans une librairie, une bibliothèque, un musée, une boutique de bricolage ou un grand magasin de vêtements pour comprendre que le plaisir qu’on y ressent vient moins de ce qu’on peut s’y procurer, des spectacles auxquels on y peut assister, des beautés et connaissances que nous pouvons y approcher que du sentiment de plénitude que nous procure le trop-plein, la certitude que jamais nous ne parviendrons à tout capter, à tout voir, à tout assimiler, tout posséder, tout avoir. C’est de ne pouvoir tout étreindre ni tout embrasser que nous jouissons vraiment comme dans ces finals de feux d’artifice où nous nous pâmons plus encore de ne savoir où donner de la tête que des merveilles vraiment entraperçues, de la saturation des sens plus encore que de leur satisfaction.
Il y a là quelque chose de très étrange, de très contre-intuitif, et finalement de très beau et rassurant : on pourrait penser que notre amour du trop et du superflu est une sorte d’avidité dom-juanesque, un désir insatiable et vaniteux de tout posséder et tout connaître, alors qu’il est essentiellement, me semble-t-il, le presque contraire : il est le plaisir apaisant qu’on éprouve à toucher du doigt, de l’intelligence et des sens le caractère inaccessible, inépuisable, immense et innombrable du monde et des choses, et la conscience, face à cela, la conscience et l’acceptation de notre finitude.
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