La ligne du parti

C’est amusant (enfin : “amusant” est-il le bon mot ? Je ne pense pas ; “curieux” et peut-être aussi “rassurant” seraient probablement plus appropriés) ; c’est amusant, ou plutôt donc curieux et finalement rassurant comme, à vouloir absolument montrer l’unité et la convergence d’une équipe, sa bonne humeur et son dynamisme, à forcer, pour cela, la dose et les effets, on arrive assez ordinairement au résultat contraire : susciter la gêne, le malaise, voire le doute, là où il n’y avait peut-être, probablement, au fond, aucune raison de douter. Mais on a tellement surjoué, on s’est tellement tenu sur ses gardes de peur de commettre un impair, on a tellement appris son laïus par coeur, se reprenant lorsque on oubliait un mot sans importance, on a tellement affiché un sourire béat en écoutant les autres comme si c’était la vérité qui sortait de leur bouche tel un miel aux saveurs suaves, on a tellement ri avec fausseté (ou, pire encore, avec sincérité et servilité) aux bons mots du chef qui est tellement, tellement spirituel, on a tellement dit et répété qu’on était content, vraiment et sans mentir, content d’être là, tous ensemble, quand notre corps et toute notre attitude hurlaient exactement le contraire, et avec une telle force qu’on avait mal pour eux ; on a tellement donné le sentiment de réciter, ânonner et jouer un rôle, un rôle qui nous avait été imposé, qu’on se serait cru dans cette case de Tintin chez les Soviets où, sous la menace des revolvers braqués par la Guépéou locale, les villageois, baissant la tête, se résignent à élire la liste du parti.

Sur le fond, pourtant, encore une fois, il n’y avait probablement aucun problème, aucun désaccord, aucune dissension. Seulement la peur de la fausse note, la crainte de l’incident, la hantise du bug, peut-être, qui a transformé ce qui avait certainement été conçu comme un moment sympathique de partage, l’annonce collectivement assumée d’une nouvelle stratégie, ou d’une stratégie un peu redéfinie, en une cérémonie pesante et empesée, le contraire absolu du spontané.

Ce qui est bizarre, c’est que les personnes en position d’autorité paraissent ne pas se rendre compte que rien ne sonne plus faux que ces tableaux vivants où le chef se met en scène avec ses lieutenants, où ceux-ci parlent sous la surveillance de celui-là, et où l’on a l’impression qu’à la moindre incartade, au moindre propos qui ne serait pas de dévotion, ledit chef se muera soudain en reine de coeur réclamant : “Qu’on lui coupe la tête !” ou en Clovis rejouant l’histoire du vase de Soissons. 

Ce qui est bizarre, c’est que, à vouloir à tout prix montrer que la décision est collective, partagée, voulue par toutes et tous, on arrive seulement à donner le sentiment contraire, à susciter l’impression d’un chef autocratique décidant seul de la ligne du parti.


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