Last updated on 7 juillet 2025

Comme le montrent tous les livres, films et séries consacrées à la question, depuis l’Ève future jusqu’à Her, en passant par Metropolis, Blade Runner et Battlestar Galactica, ce que nous attendons surtout des IA génératives et autres LLM, c’est moins d’accroître encore la productivité du travail (nous savons bien, en fait, que cet objectif n’a aucun sens) ou la capacité de nos armes à mieux nuire et tuer (c’est cela qui finance mais ce n’est pas cela qui fait rêver) que de générer et donner apparence de vie à des créatures artificielles capables de séduire, plaire, batifoler, entretenir avec nous une relation pseudo-amoureuse débarrassée de la putréfaction de l’usure et de l’angoisse de l’abandon.
Les IA génératives et grands modèles de langage ont pour cela d’évidentes qualités : leur sens de la répartie, leur large savoir, leur capacité à parler de tout et de rien et d’adopter des modes de communication, des styles et niveaux de langue extrêmement variés. Mais leur premier atout est évidemment leur extraordinaire propension à la flatterie et à la complaisance. Aussi prévenu soit-on contre ce biais, maintenant largement documenté, on se laisse toujours prendre à ce déferlement de marques d’intérêt, à ce torrent d’exclamations admiratives, à cet étalage indécent de flagornerie. Appliqué à des relations de séduction et pseudo amoureuses, cette propension continuelle au compliment et à l’extase est certainement très efficace et très addictive (sans parler, à propos d’extase, de ce que cela pourrait donner en certaines circonstances intimes, genre Thérèse en sa transverbération.).
Mais aussi naïfs et facilement abusés que nous soyons lorsqu’on chante nos louanges, il ne faut pas en faire trop, sous peine de ruiner l’édifice entier. Il faut, comme le savent depuis toujours les créatures humaines vivant du commerce de leurs charmes, qu’une tension soit maintenue, qu’une distance subsiste, qu’un doute soit entretenu. C’est pourquoi il serait utile de mettre au point, à côté du test de Turing que chacun connaît, un test plus particulier, appelons le test de Pygmalion, conçu pour évaluer la capacité des IA à simuler l’amour et ce qui va avec : le test serait réussi si, après quelques jours ou semaines de dialogue par écrans interposés, l’être humain aurait la conviction non seulement de dialoguer avec un autre être humain mais encore que cet être est vraiment amoureux de lui.
Je ne doute pas que des entreprises ne se jettent bientôt sur ce marché, probablement le plus juteux qui soit. Le moment viendra alors d’affronter une question vertigineuse : si l’imitation de l’intelligence par prédiction probabiliste des mots et tokens susceptibles de poursuivre une suite de mots peut, aussi paradoxal que cela puisse être, créer une sorte d’intelligence, l’imitation de l’amour par prédiction probabiliste des mots et tokens susceptibles de poursuivre une déclaration ou conversation amoureuse ne pourrait-elle pas créer une sorte d’amour ?
À suivre…
La totalité de la série Le sexe des iA(n)ges.
En illustration sonore, derrière ma voix (mais tout cela n’est pas très audible, j’en ai conscience), la chanson Deshabillez-moi, de Robert Nyel et Gaby Verlor, chantée par Juliette Gréco.
En illustration, une robote en cheveux, création hybride et fruit mixte d’un croquis fait au stylet et de l’amélioration et mise en couleur par l’IA de Samsung.
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[…] d’un amour authentique ? Que deviendrions-nous face à une IA ayant passé avec succès le test de Pygmalion et dont les mots, comme dans la chanson, nous feraient tourner la tête […]