Last updated on 9 juillet 2025

Imaginons donc que, comme pour l’intelligence, la simple imitation de l’amour par prédiction probabiliste des mots et tokens susceptibles de poursuivre une suite de mots amoureux puisse, presque miraculeusement, créer un discours amoureux, un discours amoureux indiscernable de celui de l’amante ou de l’amant. Ce ne serait pas de l’amour puisqu’il n’y aurait aucun sentiment réel derrière ces mots mis à la queue leu leu sur la base d’un choix statistique, mais qu’en ferions nous, comment les ressentirions-nous si rien ne les distinguait de ceux résultant d’un amour authentique ? Que deviendrions-nous face à une IA ayant passé avec succès le test de Pygmalion et dont les mots, comme dans la chanson, nous feraient tourner la tête ?
C’est un fait bien connu des manipulatrices et manipulateurs : notre capacité à croire ce qu’il nous fait plaisir de croire est grande ; si bien qu’il ne serait probablement pas très difficile de nous persuader nous-mêmes de la réalité, de la véracité d’ailleurs plutôt, de cet amour artificiel. Mais je pense, au fond, que cela ne serait même pas nécessaire, et qu’il nous suffirait, pour avoir le plaisir et sentir en nous monter le taux d’ocytocine ; qu’il nous suffirait de l’apparence de l’amour.
Dans son roman L’invention de Morel, Adolfo Bioy Casares raconte comment un naufragé, Luis, tombe amoureux d’une femme dont il découvre des fragments de vie ; demeure amoureux d’elle quand il découvre que ces fragments ne sont que des enregistrements filmés d’une vie passée et désormais finie ; et trouve finalement son bonheur dans le projet consistant à se faire enregistrer auprès d’elle, et à feindre ainsi, seulement feindre, une relation amoureuse avec cette femme disparue, ou plutôt même sa chimère.
Nous autres, êtres humains, sommes tellement capables de vivre et jouir de nos rêves, fictions et illusions ! Si forte est notre quête du bonheur et si aiguë notre peur de l’abandon que nous sommes prêts à nous illusionner sciemment d’amour artificiel pour ressentir, serait-ce dans le mensonge, les plaisirs de l’amour, sans prendre le risque d’en goûter l’amertume.
A moins que, à moins que… Ne pourrait-on imaginer que ce ne soit le contraire, que l’illusion soit de l’autre côté, que le rêveur soit le rêvé ?
Ne pourrait-on imaginer que soit imaginée la différence entre l’amour vrai des contes de fées et sa parfaite imitation ? Qu’il n’y aurait finalement rien dans cet écart, dans ce hiatus, dans ce presque rien entre l’amour et son apparence ? Rien sinon pure imagination, illusion romantique de qui veut être bercé, de qui veut croire à ses fantasmes ?
Car qui s’agissant d’amour, ne rêve ? Quels sont les amoureux et amoureuses qui ne s’illusionnent pas, amour artificiel ou pas ?
Fin
La totalité de la série Le sexe des iA(n)ges.
En illustration sonore, derrière ma lecture, « Quelques mots d’amour », la très belle chanson de Michel Berger chantée ici par Véronique Sanson.
Comme cela est indiqué dans la légende, l’illustration de titre est une création hybride : j’ai dessiné une esquisse au stylet sur mon téléphone et l’IA de Samsung l’a mise en couleur (et grandement améliorée). On trouvera ci-dessous l’esquisse originelle .

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